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d’histoire, des lettres et de petits vers. Et Romanus, pendant que ses gens s’occupent à la vendange ? Il écrit ou dicte ses compositions. Et Caninius, dans sa villa du lac de Côme ? Il cherche des sujets, de poème, et Pline le presse de se mettre à la besogne. Litterarum intemperantia laboramus, dit Sénèque. Sénèque a raison, non seulement pour son époque, mais pour les cent cinquante premières années de l’Empire. Tous ces gens-là souffrent d’un excès de littérature. C’est ce qui les perd ; c’est ce qui les empêche tout au moins de goûter la campagne.

Ou plutôt ils la goûtent, mais non pour elle-même ; ils n’y cherchent que la tranquillité propice aux travaux sérieux, un repos sans distraction qui permette des études recueillies. Ils la goûtent par opposition, si l’on peut dire. Ils la goûtent par dégoût de la ville. Le mot connu : « on aime toujours quelque chose contre quelque chose, » n’est pas toujours vrai, mais dans la circonstance est vrai des Romains. Ils aiment la campagne pour y mieux faire ce qu’ils font à la ville, non pas pour y faire autre chose. A Rome, dès que l’on est un certain personnage, on est assailli par les solliciteurs. L’on a, de plus, les devoirs de l’amitié ou de la clientèle, les mille obligations de société : c’est une cérémonie de fiançailles ou de noces, une prise de toge virile, une convocation à la signature d’un testament. Bref, importunités et bagatelles, on n’a plus le temps de travailler. — Ou si, par hasard, on est libre un moment de ces soins frivoles, ce sont alors les bruits de la rue qui ne vous laissent pas de repos. « Le matin, les maîtres d’école, la nuit les boulangers, tout le jour les forgerons et leurs marteaux. Ici un changeur désœuvré fait résonner sur son sale comptoir les pièces marquées à l’effigie de Néron ; là un batteur de lin d’Espagne, de son fléau poli, frappe la pierre jusqu’à l’user. Jamais de répit ; c’est la foule en délire des prêtres de Bellone, le naufragé qui porte au cou le tableau de son naufrage et le raconte sans fin, le Juif que sa mère a dressé à mendier, l’aveugle qui débite ses allumettes. » Sans doute Martial qui nous fait cette peinture amusante, reconnaît que le riche peut davantage se préserver de ces misères. Il ne peut pas toutefois vivre dans une maison si close que rien n’arrive à ses oreilles du tumulte du dehors. Et à supposer même qu’il soit à l’abri des cris des marchands et de toutes les voix humaines, restent les chaleurs et la fièvre dont il n’est pas aisé au mois d’août de se garantir. C’est pour toutes