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Grecs et les Romains. Lully ni Rameau, Gluck ni Mozart ne pouvaient avoir l’idée, ou l’audace, de choisir un sujet chrétien, encore moins liturgique. C’est au romantisme, — et au romantisme français, car Weber lui-même n’y songea pas, — qu’il était réservé d’introduire non seulement le christianisme, mais l’église, dans l’esthétique de l’opéra. Et le premier exemple de cette nouveauté fut peut-être Robert le Diable (1831).

Les deux « grands opéras français » qui précédèrent : La Muette de Portici (1828) et Guillaume Tell (1829), contiennent des parties religieuses, et fort belles, mais qui ne sont pas d’église. Au début du second acte de Guillaume Tell, il est un petit chœur adorable, triste et tendre comme l’Ave Maria des soirs italiens. Une cloche au loin l’accompagne, « che paia il giorno pianger che si muore. » Mais l’exquise prière résonne auprès d’une chapelle, elle ne nous y fait point entrer. Pour la première fois avec Robert et Bertram qui le suit, nous franchissons le seuil non d’une chapelle, mais d’une cathédrale. Dans la sacristie, qu’une simple tenture sépare du sanctuaire, Meyerbeer nous a montré « l’homme divisé contre lui-même, partagé entre la chair et l’esprit, entraîné vers les ténèbres et l’abrutissement, mais protégé par l’intelligence vivifiante et sauvé par l’espoir divin[1]. » Le « grand drame catholique de Robert[2] » trouve son dénouement à l’église, au son des chants de l’église, et par l’effet, par la vertu même de ces chants.

C’est d’abord un cantique de moines, sans accompagnement, qui tient à la fois du choral et de la psalmodie. L’ « écriture, » comme on dit aujourd’hui, n’en est peut-être pas très serrée ; la polyphonie de Bach a plus de richesse et celle de Palestrina plus de pureté. Mais le style sobre et grave de cette prière est vraiment d’église, même d’office. Elle se continue et s’achève par une admirable ritournelle d’orgue, phrase mélodique et chantante, mais dont aucun accent, aucun éclat trop pathétique ne hâte ou ne trouble le cours. Alors paraissent Robert et Bertram, et les thèmes sacrés reviennent accompagner leur dialogue tragique et le faire plus tragique encore. La grandeur de cette scène, où Meyerbeer se révèle tout entier, consiste d’abord dans la rencontre de l’élément humain ou profane et de l’élément religieux ; elle tient aussi, peut-être davantage, à leur distinction. Partout ici la beauté liturgique ajoute à la beauté pathétique ; nulle part elle ne s’y soumet ou seulement ne s’y conforme. L’une et l’autre se côtoient,

  1. George Sand : Lettres d’un voyageur.
  2. Ibid.