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comme il dit, une tradition révolutionnaire, lui permettait de morigérer de très haut de pauvres gens qui avaient le malheur d’appartenir à une monarchie, ou même à un empire, et de n’avoir pas derrière eux une belle tradition comme la nôtre, où résonnent glorieusement les dates de 1789, de 1793, de 1830, de 1848, de 1870. Nous ne sommes pas sûr que ces prétentions de M. Jaurès n’aient pas un peu agacé ses auditeurs, et que MM. Bebel et Jules Guesde n’aient pas cédé à la tentation de l’envoyer promener avec sa république, et sa république avec lui. D’autant plus que, pour justifier sa méthode temporisatrice, il s’efforçait de prouver que le triomphe du socialisme était absolument impossible, si on ne commençait pas par établir la république et la laïcisation complète de l’enseignement, car, dit-il éloquemment, la lumière ne saurait sortir de l’ombre. M. Bebel a pensé sans doute que, s’il devait renoncer à tout progrès socialiste avant d’avoir établi la république en Allemagne, il pourrait attendre longtemps ! En vérité, M. Jaurès abusait un peu trop de ses avantages. Il s’est vanté d’avoir sauvé la république en France. — Soit, lui a-t-on répondu, gardez-la ; mais ne nous dites pas que vous avez fait, avec ce bel instrument, plus que nous qui en avons un plus imparfait, car en réalité vous avez fait moins !

Peut-être cette nouvelle épreuve dégoûtera-t-elle M. Jaurès de ces conciles laïques. Il semble renoncer provisoirement à convertir le socialisme universel, pour se consacrer tout entier à l’éducation du socialisme français. Il l’exhorte plus fortement que jamais à soutenir la laïcisation totale de la société, à séparer l’Église de l’État, enfin à faire vivre le ministère Combes, toutes choses qui, essentielles à ses yeux, sont pures billevesées à ceux des socialistes révolutionnaires. Il n’a rien appris de l’autre côté de la frontière, ou il a tout oublié en la repassant. Et voilà pourquoi nous avons dit que le Congrès d’Amsterdam avait peu d’importance. Veut-on voir le socialisme vraiment à l’œuvre ? Il ne faut pas se tourner du côté d’Amsterdam, où il déclame, mais du côté de Marseille où il agit. La grève de Marseille a autrement de gravité pour nous que tous les congrès, où l’on discute des doctrines ou des tactiques. Mais il est encore trop tôt pour en parler.


FRANCIS CHARMES.

Le Directeur-Gérant, F. BRUNETIERE.