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Il veut arracher, déraciner jusqu’à la dernière radicelle, toutes les formes du capitalisme, la rente, le fermage, le loyer, le profit, le bénéfice, et restituer tous les profits du travail à la collectivité, à la communauté sociale des travailleurs organisés. » On ne saurait dire plus, et une pareille profession de foi a dû plaire au Congrès. Malheureusement, s’ils sont d’accord sur le but à atteindre, M. Bebel et M. Jaurès ne le sont plus sur le meilleur et le plus court chemin qui y conduit, et dans le carrefour d’où partent les routes diverses, au moment de choisir entre elles, ils se battent furieusement. Pourquoi ? Parce que M. Bebel et les socialistes révolutionnaires, ennemis des réformes partielles qui affadissent le socialisme et le détournent de la révolution intégrale, condamnent le système opportuniste de M. Jaurès, qui consiste à prendre une part directe ou indirecte au gouvernement bourgeois, et à obtenir par-là des améliorations successives dont le total finira par réaliser un jour ou l’autre le programme en son entier. C’est là-dessus qu’on se dispute depuis bien longtemps déjà, et qu’on ne s’entendra vraisemblablement jamais. Tous ces congrès internationaux ne servent qu’à creuser davantage le fossé ou l’abîme entre les deux partis, et M. Jaurès en invoque ou en répudie l’autorité, avec une parfaite désinvolture, suivant qu’ils lui donnent tort ou raison. Généralement, sinon même toujours, ils lui donnent tort, et c’est ce qui est arrivé une fois de plus à Amsterdam. M. Jaurès déclare qu’il s’en moque et qu’il n’en fera ni plus ni moins. Il a peut-être raison : mais alors pourquoi est-il allé au Congrès ?

Tous ces congrès se ressemblent terriblement. Il y a en eux du radotage. Le seul intérêt que nous ayons trouvé dans ce dernier est la parfaite indifférence que les socialistes révolutionnaires, non seulement allemands mais français, ont professée en ce qui touche la forme du gouvernement. République ou monarchie, peu leur importe, et M. Bebel, tout en donnant, pour la forme, c’est-à-dire en pure théorie, la préférence à la République, a déclaré que l’Empire allemand est, en fait, bien préférable à la République française. Les impôts y sont mieux répartis, les grèves y sont plus libres, enfin les progrès déjà réalisés par le socialisme y sont beaucoup plus substantiels. M. Jules Guesde a abondé dans le même sens, en expliquant que, le socialisme étant le produit de faits économiques et non pas politiques, la forme et le nom du gouvernement sont pour lui choses négligeables. M. Jaurès a éprouvé, en entendant ces blasphèmes, un saisissement dont il n’est pas encore revenu. Il croyait ingénument que le fait pour lui d’appartenir à une république et de représenter,