Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 23.djvu/294

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. de Plewhe fut « exécuté », ou plutôt un acte d’accusation, car « l’accusé » ne fut pas entendu avant la sentence. Mais les social-démocrates désapprouvent en général la méthode terroriste : le Vorwaerts considère toutefois que l’attentat contre M. de Plewhe est « le résultat de la force des choses. » Des socialistes aussi modérés que Bernstein ont salué le meurtre de M. de Plewhe comme l’acte héroïque d’un nouveau Guillaume Tell, et cité Schiller à ce propos. Si divergentes que soient les opinions sur l’opportunité de l’assassinat politique, les Allemands considèrent les terroristes comme leurs alliés dans la guerre au tsarisme. Que leur servirait de conquérir le pouvoir en Allemagne, si l’absolutisme régnait en Russie ? la République allemande serait à la merci des Cosaques.


IV

L’anarchisme est considéré par les socialistes, comme appartenant aux années de jeunesse, d’irréflexion, d’impulsivité, de gaminerie, d’espièglerie (Flegeljahre) du socialisme international. Années d’espièglerie ! ce mot charmant a été prononcé au Congrès d’Amsterdam. Une autre maladie de croissance, en un sens tout opposé, s’est manifestée ces dernières années, avec une intensité toujours accrue : c’est l’opportunisme, le réformisme, le ministérialisme, que les Allemands expriment d’un mot : le Revisionnismus, la tendance à réviser la tactique et les principes fondamentaux. C’est en France que la crise a éclaté avec le plus d’intensité, sous la forme aiguë du Millerandismus, d’abord, continuée et aggravée par le Jauressismus.

La conquête des pouvoirs publics par le bulletin de vote conduisait, comme conséquence nécessaire, à des coalitions au scrutin, à des alliances entre les socialistes et les partis démocratiques, à des combinaisons, à des compromis dans les assemblées, et atténuait l’opposition irréductible qui distingue le parti socialiste de tous les autres partis bourgeois. Engels, le confident, le collaborateur de Karl Marx, avait annoncé cet accroissement de force et d’influence du socialisme, et, à côté des avantages, il prévoyait des difficultés. Il écrivait en 1894 au socialiste italien Turati, qui le consultait sur la tactique socialiste : que le moment viendrait où les radicaux, pour se maintenir au pouvoir, solliciteraient le concours des socialistes, et leur offriraient des