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l’Église et de l’État, en établissant l’enseignement laïque, les socialistes alliés aux radicaux ne font que suivre la méthode indiquée par Blanqui, et qui consiste à révolutionner les têtes, avant de s’adresser aux bras. Attendez seulement, disait Blanqui à ses disciples, le résultat de vingt années d’école primaire sous la direction d’instituteurs démocrates ! Vous verrez les résultats. — Passant ensuite à l’offensive, M. Jaurès reprocha aux socialistes allemands leurs prétentions, leur inaction, leur pusillanimité :

« Le suffrage universel vous a été octroyé par la grâce de Bismarck ; et vous vous le laisseriez reprendre en Allemagne, comme vous l’avez perdu en Saxe, sans oser remuer le doigt ! Après les élections au Reichstag, fiers de vos trois millions de voix, vous vous êtes écriés : « l’Empire est à nous ! le monde est à nous ! » Pure fanfaronnade ! vous n’avez rien fait, il n’y a rien de changé. Vous cachez votre faiblesse et votre impuissance, en essayant d’en faire la loi de tous. Laissez donc chaque peuple déterminer sa tactique à sa guise, selon des circonstances particulières qui vous échappent. Votre motion de Dresde ne respire que cet esprit d’hésitation et de doute que vous cherchez à nous imposer. »

Et Bebel de riposter : « Eussiez-vous donc voulu qu’au lendemain des élections, nous prissions d’assaut le palais royal, pour ensuite déposer l’Empereur ? Quand nous aurons obtenu huit millions de voix, nous saurons agir. Si nous avions les mains aussi libres que vous, nous obtiendrions bien d’autres résultats. Vous avez amélioré les écoles, combattu le cléricalisme, par des moyens que nous n’approuvons pas toujours ; vous travaillez à la séparation de l’Eglise et de l’État, c’est fort bien. Vous préparez des lois pour améliorer la condition des ouvriers ; nous approuvons des alliances passagères en vue d’obtenir ces résultats, mais non l’alliance durable entre la bourgeoisie et le prolétariat, car cette alliance est à l’avantage de la bourgeoisie. Je suis républicain, mais ne me vantez pas votre république bourgeoise. Je lui préférerais la monarchie prussienne. Les ouvriers sont écrasés, fusillés dans les grèves, en France, en Suisse, et en Amérique, comme ils ne l’ont jamais été chez nous. Un député socialiste qui eût souscrit tacitement à l’envahissement d’une Bourse du travail, aux brutalités policières contre les militans ouvriers, un député socialiste qui aurait voté en cette circonstance le