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sonore, plus profond, plus vaste, plus peuplé, transposé d’un registre inférieur dans le registre de la fresque, des proportions du tableau étendu aux proportions monumentales. Le développement est plus ample, la polyphonie plus complexe. Le trône prend une importance et une élégance nouvelles, s’exhausse de deux degrés, se flanque de deux ailes à boiseries gothiques. Aux quatre patrons de la ville à genoux se joignent deux figures bleues, agenouillées aussi, un couple d’anges offrant à la Madone des corbeilles de roses. C’est un luxe inédit d’instrumentation qui entre dans la symphonie. C’était Mozart, voici Berlioz. Les bienheureux, chez Duccio, formaient une cour : chez Simone, ils forment foule. Aussi l’Enfant Jésus ne peut plus être assis sur le giron de sa Mère : il s’y met debout, comme un roi, tandis que, couronnant cette peinture immense, en liant les parties, imprimant à l’ensemble une grandeur définitive, règne sur l’assemblée sacrée l’étoffe souple et magnifique d’un dais porté par huit apôtres. L’école siennoise est entrée ici en pleine conscience de son objet et de son art. Mais en même temps, le sentiment, toujours aussi sincère que chez Duccio, a je ne sais quoi de moins naïf ; le caractère, quelque chose de plus officiel. La tradition se fixe. Lippo Memmi, chargé deux ans plus tard de peindre une Maestà à San Gimignano, désespéra de faire mieux, et se borna à reproduire la composition de Simone.

Ce maître irréprochable fut pendant quinze ans le chef incontesté de l’école. C’est à lui que la République, après la victoire de Montemassi, commande le portrait équestre du condottiere heureux. Mais sa renommée l’engagea dans de longs voyages : ses quinze dernières années se passèrent loin de sa patrie, et il mourut en Avignon, où il a peint des fresques dans le Château des Papes. C’est là qu’il rencontra Pétrarque, là qu’il fit le portrait de Laure. Cette amitié illustre le recommanda à la gloire : l’habile Florence adopta le peintre chanté par son poète ; tous deux restent unis dans la mémoire et dans les cœurs, l’un pour avoir « pourtrait, » l’autre pour avoir aimé la beauté d’une femme qui enchante encore le monde, tant de siècles après que nous avons perdu jusqu’au souvenir de ses traits.

Deux maîtres prennent alors à Sienne la place laissée par Simone : ce sont les deux Lorenzetti, Pierre et surtout son frère Ambroise. Leur école se prolonge jusqu’à la fin du siècle. Mais l’âge d’or de l’art siennois devait durer moins longtemps. Il