Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 23.djvu/385

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’arrête au sillon funèbre tracé par la Grande Peste en 1348. Vingt années éclatantes précèdent le sombre. fléau. Sienne jouit encore, sous le gouvernement des Neuf, de l’apparence intacte de sa puissance et de sa fortune. Paisible et respectée, elle a au front les derniers reflets du glorieux soir de Montaperti. Elle érige, au-dessus de son Palais Public, le Mangia, cette tour étourdissante qui pousse encore en plein azur son prodigieux cri d’orgueil. Elle délibère de raser l’ancienne cathédrale, et jette les fondemens audacieux de la nouvelle. Elle se hâte d’éterniser dans une salle de son Palais l’idéal politique qui l’a faite si grande, et qui est promis désormais à une si prompte ruine. Le moment est splendide et grave. Encore un peu de temps, et vous ne verrez à cette place que la trace empoisonnée de la Mort Noire et les convulsions plus affreuses de l’émeute et de l’anarchie. C’est l’heure ou jamais d’admirer le génie de la race dans cette parfaite plénitude qui devance de si peu d’instans l’irréparable décadence.


IV

Le mérite éminent de l’école, entre toutes ses sœurs de Toscane et d’Ombrie, c’est d’être une école de peintres. Elle parle à ravir le langage coloré. Cette qualité restera chez elle indélébile : ses plus médiocres maîtres de la fin du XVe siècle. Neroccio, Benvenuto, seront encore des décorateurs exquis. Dans leur technique particulière, la détrempe et la fresque, ils n’ont pas leur égal, même à Venise. Quant aux Florentins, ils sont trop soucieux de l’action et du pathétique, pour ne pas tenir souvent en mépris la couleur, cette partie sensuelle de leur art. A Sienne plus que partout ailleurs on sait faire d’un pan de mur, d’une voûte, d’une chapelle, d’un tableau, une chose précieuse, satinée, veloutée, douce et riche au regard comme une belle tapisserie. Les ruines mêmes en sont agréables : qu’il surnage, au milieu de leur effacement, une ou deux teintes plus fraîches, le bleu d’une robe, le rose d’une aile, il suffit ! le charme subsiste, et s’exhale vainqueur d’une peinture indéchiffrable, comme le plaisir dure encore quand la chanson s’est évanouie.

Ce n’est pas tout. Un tableau, parfois même une fresque de Sienne, est encore un travail d’orfèvrerie et de niellure. Le fond d’or s’ouvrage sur les bords d’une dentelle infinie tracée à la