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n’est venu à l’esprit d’aucun de ses biographes d’y chercher un renseignement sur ses traits. L’artiste se croyait en droit de traiter la figure humaine comme font la mort et le feu : il en dégageait une âme impérissable, abandonnant le reste comme un amas de cendres.

Une pareille poétique était-elle applicable à la peinture d’histoire ? Les essais qu’ont faits en ce genre les peintres siennois paraissent en général médiocrement heureux. C’est dans les sujets de pure nature lyrique, sans action, sans geste, où nulle nécessité de fait ne vient contrarier le rêve, limiter le sentiment et troubler la beauté, où il suffit d’être poète, et où le chef-d’œuvre résulte du simple épanchement de l’âme, que se révèle le vrai génie de Sienne. Dans les compositions modestes destinées aux autels ou aux oratoires des fidèles, des figures bienheureuses juxtaposées sur un fond d’or, une Madone avec l’Enfant, c’est là que l’école a déployé, sur des thèmes invariables, toutes les variétés de la grâce, de la ferveur et de la poésie. Ses maîtres sont les peintres suprêmes de la Vierge. Il ne leur suffit plus de la peindre en déesse, telle qu’elle apparaît dans sa gloire sur le tableau de Duccio, ni en princesse couronnée, comme la montre Simone, dans sa vénusté patricienne, présidant du milieu de sa cour aux conseils de l’Etat. Pour la mieux adorer, ils la veulent plus proche, la font plus douce, la rendent femme. En est-elle moins souveraine, puisqu’elle est plus aimée ? moins divine, puisqu’elle est plus mère ? C’est la gloire de Sienne d’avoir donné à l’art italien de ces siècles ses Madones les plus suaves. Ce peuple de poètes, d’où allait naître saint Bernardin, comprit seul sur ce point le poète d’Assise. Ses artistes abondent, à l’égard du groupe divin, en familiarités naïves et délicates, rappelant les berceuses, les Noëls de Jacopone, ou les effusions de saint Bonaventure, le saint qui imprima à toutes les cloches de la terre la palpitation sereine de l’Angelus. Avec quel amour, dans les peintures d’Ambrogio, Marie enveloppe de ses bras son fils ! Avec quel humble orgueil elle admire ses petits membres radieux ! Quelles caresses ravissantes échangent la Vierge et Jésus ! Elle est siennoise, l’invention charmante de la Madonna del Latte, ce thème si simple et si fertile en chefs-d’œuvre par la majesté ineffable d’une femme allaitant son nouveau-né, et par l’inépuisable grâce des mouvemens du nourrisson jouant avec