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le sein, le pressant de la main ou y collant ses lèvres, le quittant pour le reprendre et pour l’abandonner encore : ce merveilleux poème, deux corps formés d’une même chair, une seule vie qui se continue et se dédouble, deux regards confondus dans une chaîne de tendresses, et ces deux bouches, source intarissable de sourires… La Madone du Grand-Duc, la plus divine des Madones de Raphaël, est une variante ombrienne d’une Vierge d’Ambrogio.

L’effort, sinon le plus heureux, du moins le plus original de l’école siennoise, fut d’enhardir sa poétique à l’expression des idées, et d’ajouter au double domaine des faits et des sentimens le domaine de la pensée. Si d’autres avaient eu cette audace avant elle, nulle ne l’a plus souvent répétée, ne l’a soutenue si longtemps, et n’a laissé de ses rêves des images plus imposantes. La plus belle et la plus complète est comprise dans l’enceinte de l’Exposition : ce sont les fameuses allégories du Bon et du Mauvais Régime, par Ambrogio Lorenzetti. Ces fresques à demi éteintes, et qui se poursuivent sur trois murs d’une salle, enveloppent ce lieu de leurs songes flottant derrière une brume majestueuse. Dans celle du Mauvais Régime on ne distingue plus que des ombres sinistres : au-dessus de la Tyrannie, géante aux cornes de taureau, aux horribles boutoirs, le pied droit posé sur un bouc, plane une trinité funeste, la vieille Avarice, Superbe et Vaine-Gloire, celles-ci jeunes, ardentes, lascives, l’une s’amusant d’une balance folle, l’autre souriant à son image réfléchie dans un miroir. L’affreuse mégère est entourée du tribunal des vices qui sont ses conseillers : Cruauté, Trahison, Fraude, la Colère, centaure à tète d’âne, au torse d’homme, à corps de cheval et de chien, la Division en robe mi-partie de blanc et de noir, disant à la fois oui et non. la Guerre enfin, qui résume toutes ces horreurs et préside aux violences et aux égorgemens. Du reste, on ne reconnaît rien que des linéamens pâlis de paysage, sur lesquels voltige le fantôme effaré de la Peur.

La fresque voisine, plus célèbre et mieux conservée, est aussi d’une ordonnance plus complexe et plus riche, donnant d’abord l’impression d’une vie supérieure et plus harmonieuse. Au centre d’un aréopage de déesses, reposées dans les attitudes de la pensée et de la paix, trône un Empereur colossal, jeune, roux, ayant l’impassibilité épique d’un Charlemagne, l’œil fier et fixe, portant le globe et le sceptre, couronne au front, et la tête ceinte