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série quelconque de démonstrations. « Tous les professeurs, dit-il, n’ont pas les aptitudes indispensables ; » et, en général, ils n’ont pas, soit le goût, soit le temps, de préparer un cours pour une besogne supplémentaire, d’autant plus que ce cours devrait être conçu d’après un plan tout nouveau. Cependant, à la Fondation Universitaire de Belleville, et à la Solidarité du XIIIe, des efforts réels ont été faits pour résoudre le problème de l’Université populaire ; car il n’est pas douteux que le problème existe, qu’il se pose et qu’il s’impose.

Entre les nombreux documens analysés ou cités dans le volume de M. Turmann, il s’en trouve un d’une simplicité particulière, émouvante et révélatrice. C’est la relation[1] de la tentative faite, il y a neuf ans, par quelques ouvriers de Montreuil-sous-Bois « à seule fin, » disaient-ils eux-mêmes, « de s’élever à un plus haut degré de conscience morale et aussi de franchir la prétendue barrière intellectuelle que ne peut soi-disant pas franchir le cerveau du travailleur. » Un « camarade de la première heure » a écrit cet historique « pour les camarades nouveaux venus. » Il nous montre ses amis rassemblés pendant quatre années, le soir, après le labeur du gagne-pain et occupés, comme lui-même, à se frayer une route dans les champs de la science. D’abord, l’astronomie, étudiée au moyen de lectures et avec l’aide d’un dictionnaire, « pour comprendre les termes techniques. » Après six mois « d’impressions émues » échangées entre eux « sur ce panorama éternel, mouvementé et sans bornes, » les ouvriers discernent la nécessité d’entamer un autre chapitre, qui est la suite logique du premier ; et ils passent à la composition des mondes dont ils ont considéré les dimensions et la marche : alors, viennent la physique et la chimie ; puis, l’observation de la terre et des êtres vivans ; puis l’histoire des idées. Et toujours, la lecture faite, ils prennent soin de constater ce qu’ils y ont compris ; et ils échangent leurs impressions. M. Deherme était de ce groupe où germait, inconsciente, la pensée de l’Université populaire. C’est lui qui mit ses camarades en rapports avec quelques « producteurs intellectuels, » et ainsi procura des maîtres aux ouvriers qui venaient de former la modeste et touchante « Société d’études après le travail. »

Le persévérant désir éveillé parmi eux s’est, depuis, affirmé

  1. Publiée d’abord par Mlle Dick-May dans la Revue socialiste du 15 janvier 1901.