Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 23.djvu/476

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à 8 000 kilomètres de leur point de départ. Le général Kouropatkine, sentant ses forces augmenter continuellement, a temporisé autant qu’il l’a pu. Il devait être le Fabius Cunctator de cette guerre. Il s’est contenté de ralentir, par des combats qui n’étaient le plus souvent que des escarmouches, la marche de l’ennemi. Sa tactique a été de tenir l’arme haute et menaçante, mais de rompre pied à pied. Il en a changé à Liao-Yang. Là, il a livré bataille, et sans doute il était encore trop tôt ; mais comment faire autrement ? On aurait mal compris que Liao-Yang ne fût pas défendue. Enfin, il y avait la situation de Port-Arthur, qui était l’objet à Saint-Pétersbourg des plus vives préoccupations.

Préoccupations bien naturelles, et dont il fallait cependant se défier. Déjà, une première fois, une colonne de secours avait été envoyée du côté de Port-Arthur. C’est la seule faute stratégique que le général Kouropatkine ait commise, et peut-être n’est-elle pas imputable à sa volonté. Heureusement, on n’y a pas persévéré : le mouvement n’a été qu’esquissé. Tout le monde a compris alors que Port-Arthur ne pouvait être délivré que par une bataille où l’armée russe serait engagée tout entière. L’occasion s’est présentée, peut-être imposée, à Liao-Yang. Livrer Liao-Yang sans combat, c’était du même coup livrer Port-Arthur : le général Kouropatkine ne s’y est pas résigné, il a risqué la bataille. A la vérité il l’a perdue, et il est désormais bien difficile que Port-Arthur échappe, un peu plus tôt ou un peu plus tard, au sort qui attend toute ville assiégée qui n’est pas secourue ; mais l’honneur a sa place à la guerre, même lorsque celle-ci est provisoirement défensive, et ce n’est pas seulement l’honneur que le général Kouropatkine a sauvé. Il a infligé aux Japonais des pertes énormes. Sans doute les siennes l’ont été aussi ; mais il lui est plus facile de les réparer, si on lui en laisse le temps. Enfin sa retraite s’est faite sur Moukden sans confusion, ni désordre ; il est resté maitre de tous ses mouvemens ; les Japonais, harassés, ne l’ont pas inquiété. Ils ont gagné une bataille, soit ; mais une de ces batailles après lesquelles tout est à recommencer.

La question aujourd’hui est de savoir si les Russes s’arrêteront à Moukden, ou s’ils continueront leur marche vers le nord jusqu’à un point indéterminé, peut-être jusqu’à Karbine. Naturellement nous n’en savons rien : tout ce qu’on a dit à ce sujet n’est que conjecture. Le général Kouropatkine, ne pouvant rien pour Port-Arthur, n’a plus à songer qu’aux intérêts de son armée. Le plus probable est qu’il cherchera à imposer aux Japonais quelques-unes des difficultés qu’ils