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sentir le dénouement. Peut-être se terminera-t-elle, comme les précédentes, par une cote mal taillée ; mais alors elle recommencera bientôt et elle aura manqué au caractère de ses débuts. Ce caractère était celui qu’avait eu déjà, à un moindre degré, la grève des états-majors aux mois d’avril et de mai derniers. Les états-majors de la marine de commerce, ne se sentant plus maîtres du commandement, avaient débarqué et s’étaient mis en grève : fait tout nouveau alors et très important. Jusqu’à ce moment, les inscrits maritimes et les dockers avaient été les seuls à profiter de la loi de 1884, et ils regardaient le droit de grève, comme une sorte de monopole qui n’appartenait qu’à eux. L’idée que leurs officiers, et peut-être un jour leurs patrons, c’est-à-dire les armateurs, pourraient l’invoquer et l’appliquer aussi, n’était même pas entrée dans leur esprit. La grève était l’arme des ouvriers ; seuls, ils pouvaient s’en servir ; les patrons n’avaient d’autre droit que de parer les coups, s’ils pouvaient, et finalement le devoir de capituler sur tous les points ou sur quelques-uns, suivant que les ouvriers accepteraient ou n’accepteraient pas une transaction. Si les patrons se mettaient en grève à leur tour, le jeu était troublé et personne ne pouvait plus s’y reconnaître.

Cette conception, quelque erronée et fantaisiste qu’elle fût, n’aurait pas de longtemps été démentie par les faits, peut-être même ne l’aurait-elle été jamais, si les ouvriers l’avaient appliquée avec quelque prudence. Les patrons, en effet, n’ont généralement pas intérêt à l’interruption du travail ; et, si cette vérité s’applique à tous, elle s’applique encore plus étroitement aux armateurs qui ont des engagemens, non seulement avec les particuliers, mais avec l’État, pour le fonctionnement de certains services publics. Toutefois il y a une limite à tout : elle est atteinte, lorsque les exigences, sans cesse renouvelées, des inscrits maritimes et des dockers rendent l’exercice même de la profession impossible. On peut se contenter de bénéfices amoindris ; encore est-ce difficile aujourd’hui où ils sont réduits à peu près à rien ; mais ce qui est inadmissible, c’est que l’autorité, sur les navires, soit partagée entre les officiers et l’équipage, ou plutôt absorbée par ce dernier ; c’est aussi que, sur les chantiers, la liberté de l’embauchage d’une part, et celle du travail de l’autre, soient complètement supprimées. Or, c’est le fait actuel. La grève du mois de mai, mal éteinte, devait se rallumer. Le sentiment qui, à tous égards, est le plus étranger aux ouvriers, est celui de l’égalité, ou même de l’analogie entre leurs droits et ceux de leurs officiers ou de leurs patrons. Si l’un d’entre eux est frappé de la plus juste peine