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compagnies, c’est différent ! M. Pelletan leur dit leur fait avec fracas, et M. Trouillot le leur murmure à l’oreille, en ayant soin toutefois d’être entendu de tout le monde. N’est-ce pas là un véritable scandale ? A supposer que le décret de 1852 ne soit plus applicable, à cause de sa date, et que, malgré sa date, la loi de 1898 ne le soit pas davantage, il faut les changer. Mais n’y a-t-il pas un anachronisme encore plus choquant dans l’institution elle-même des inscrits maritimes ? Nous demandons à quoi elle sert aujourd’hui, et comment on justifie les privilèges qu’elle accorde à des hommes qui ne font rien pour les mériter ? Ces derniers incidens posent la question, et il faudra bien qu’elle soit résolue.

Ainsi donc, les armateurs seuls sont coupables : quelle est leur faute ? C’est d’avoir eu confiance dans la loi. Naïveté bien grande en effet, car qu’est-ce que la loi, sans un gouvernement qui l’applique ? On rappelle aux armateurs leurs engagemens : mais, lorsqu’ils les ont pris, ils comptaient sur les garanties de la loi. Et ces engagemens, qui les leur rappelle ? Le Ministère même qui, en laissant violer la loi, en devient le premier violateur. Nous serions curieux de voir la question des responsabilités encourues soumise à un tribunal quelconque : le résultat n’en serait pas douteux. Mais qu’ont répondu les compagnies, au moins jusqu’à ce jour, à toutes les tentatives de pression ou d’intimidation ? Elles ont répondu qu’elles marchaient à la ruine, qu’elles ne pouvaient se faire aucune illusion à cet égard, et qu’elles aimaient mieux être ruinées tout d’un coup que lentement et successivement, les supplices les plus courts étant les moins douloureux. Cependant elles ont continué de chercher des garanties. Elles ont cru en trouver une première dans le versement par les ouvriers d’une somme de 100 000 francs, qui servirait de caution à leurs engagemens. Les ouvriers avaient refusé d’abord, et ont accepté ensuite cette condition ; mais alors ce sont les compagnies qui n’en ont plus voulu. Elles ont demandé en second lieu que, dans le cas où elles parviendraient à s’entendre avec les inscrits, leur engagement réciproque fût contresigné par M. le président du Conseil et par M. le ministre de ta Marine. On est tenté de dire : Le bon billet ! Nous ne voyons pas bien ce que la signature de M. Combes et de M. Pelletan ajouterait à la force du contrat. Les compagnies estiment sans doute que le contre-seing des deux ministres indiquera de leur part l’intention de faire désormais respecter la loi : en réalité, il ne signifierait rien du tout, et, s’il signifiait cela, M. Pelletan ne le donnerait pas. Il fallait donc chercher encore autre chose, ou plutôt chercher ailleurs, c’est-à-dire en dehors