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du gouvernement lui-même, et cette fois les compagnies ont eu peut-être la main plus heureuse, en s’occupant de la création d’une « Union maritime, » imitée de l’« Union générale pour la protection du travail du port d’Anvers, » qui a parfaitement réussi en Belgique.

Il s’agirait de former autour d’un Conseil composé de dix armateurs, de cinq entrepreneurs de manutention, de cinq contremaîtres et de cinq ouvriers, un groupement d’ouvriers avec lesquels les compagnies feraient des contrats à l’année et auxquels ils assureraient une préférence à l’embauchage. Nous n’entrerons pas aujourd’hui dans les détails de cette organisation ; il faudrait savoir d’abord si elle vivra : rien n’est plus désirable, mais rien n’est plus douteux, et le motif de cette incertitude est facile à comprendre. Parmi les dogmes qui se sont peu à peu emparés de l’esprit des ouvriers, il n’y en a pas de plus tyrannique, ni de plus absolu que celui de l’unité de syndicat. Comme autrefois la République, le syndicat doit être un et indivisible. Avoir deux syndicats, c’est perpétrer un schisme, c’est donner corps à une hérésie. On a vu comment ont été traités les syndicats jaunes, pour avoir voulu faire bande à part ! Or « l’Union maritime » a évidemment pour but de créer un syndicat à côté d’un autre, puisqu’il y en a déjà un : nouvelle manifestation de cet état d’esprit que nous avons signalé chez les ouvriers, et qui les empêche d’admettre que d’autres puissent user comme eux de la loi commune. Ils ont aussitôt décidé qu’ils ne travailleraient jamais chez les entrepreneurs de manutention qui feraient partie de « l’Union maritime. » Que diraient-ils donc, si les armateurs déclaraient à leur tour, qu’ils n’emploieraient jamais des ouvriers qui feraient partie du syndicat actuel ? Ils crieraient sans doute, et ils auraient raison, à la violation de la loi de 1884 ; ils sommeraient le gouvernement d’en imposer le respect. Mais que font-ils eux-mêmes, et en quoi la violation de la loi qu’ils commettent est-elle plus innocente que ne le serait celle des armateurs ? Tout le monde a le droit de faire un syndicat, et tous les syndicats sont également respectables. Pourquoi donc celui de l’ « Union maritime » est-il menacé, dès sa naissance, de n’avoir peut-être pas des jours bien longs ? Pourquoi, calqué sur le modèle de celui d’Anvers, n’aura-t-il peut-être pas le même succès ? C’est qu’il y a en Belgique un gouvernement qui fait respecter la liberté du travail. En est-il de même en France ? Non. La liberté du travail est une de celles qui n’y existent plus. On le voit bien à Marseille. Au moment même où les ouvriers annoncent qu’ils renoncent pour l’avenir à ces mises à l’index dont ils ont si fort abusé dans