Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 23.djvu/534

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la salle qui précède celle des délibérations, obsèdent l’assemblée de leur tumulte, et, par toutes leurs voix et par tous leurs gestes, demandent impérieusement un signal de révolution à l’assemblée qui déjà hait l’Empire, mais le craint encore et demeure inerte. Les agitateurs qui s’étaient glissés auprès d’elle pour l’entraîner, comprennent qu’ils n’y suffiront pas, et qu’il faut la pression populaire. Les fenêtres de la salle où ils ont pénétré s’ouvrent, et l’un d’eux, Delpech, lance à la foule qui remplit la place Villeneuve le mot de République, mais seulement pour annoncer qu’elle viendra sans doute de Paris et qu’il faut se préparer à de graves conjonctures. Lui aussi, plus révolutionnaire que le Conseil, songe aux risques : il annonce, il prévoit, il ne proclame pas la révolte, il en voudrait le bénéfice sans la responsabilité. En effet, la masse s’échauffe, le colloque, commencé entre ceux du dehors et ceux du dedans, est couvert par sa voix qui bat la charge, et l’assaut va être donné à la mairie que la passivité de la troupe semble livrer. Mais un bataillon à qui est confié l’Hôtel de Ville et qui a pris soin de ne pas provoquer l’effervescence par un déploiement de forces prématuré, se démasque, s’interpose entre l’entrée de la Mairie et la foule, et procède à l’évacuation de la place. La foule recule et ne se disperse pas ; devant elle les armes sont chargées, les sommations faites, sans qu’elle bouge ; au commandement de « joue » elle fuit dans toutes les directions ; puis, comme elle n’a pas entendu le bruit de la fusillade, elle sort peu à peu de toutes les issues par où elle s’était soudain échappée et près desquelles elle se maintient d’abord ; mais ceux qui avaient fui plus loin, en revenant poussent les autres ; entre la foule et les soldats se rétrécit l’espace vide, se rapproche la collision. Pour la prévenir, des conseillers municipaux sont sortis ; à leur tête est le premier adjoint, l’avocat Thourel, connu des Marseillais, et que son écharpe désigne à l’attention et à la déférence. A travers les rangs de la troupe, qui s’ouvrent par le consentement des chefs militaires, ils s’avancent vers la foule que Thourel harangue et dissuade des violences. Et, pendant ce temps, Delpech et ses compagnons, sortis à la suite des conseillers, se sont arrêtés près des soldats, s’adressent à eux, les adjurent de ne pas tirer sur le peuple, et les ébranlent. Toutes ces influences et l’incertitude des faits qui, à cette heure, fixent l’avenir à Paris, qu’il serait vain de contredire ou de devancer par un égorgement à Marseille, disposent tout le