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même américaines, sont remplies d’études consacrées à la justification des guerres de conquête par les principes de Darwin. Le président Roosevelt se fait lui-même parfois le porte-voix de doctrines analogues. Ce sera l’honneur de la philosophie française, au xixe siècle, de n’avoir point cédé à ce courant prétendu scientifique, qui nous ramènerait à la barbarie : la France n’a cessé de maintenir, contre l’Allemagne et l’Angleterre, la primauté du droit sur la force, de la fraternité sur la haine, de l’association sur la compétition brutale. Un examen attentif et impartial des opinions en présence, nous montrera par quelle sophistique on dénature certaines vérités de la science, pour les tourner contre la morale sociale.


I


Selon les darwinistes purs, la loi d’association ne serait qu’un raffinement de la loi de compétition, au lieu de lui être opposée. Ils s’appuient, pour le soutenir, sur cette hypothèse que l’association serait née de la compétition même. Supposez que des individus, poussés par une impulsion commune en présence d’un ennemi supérieur à chacun d’eux individuellement, se voient victorieux de cet ennemi, en vertu de leur coopération accidentelle : l’expérience de l’effort en commun sera répétée, d’abord par accident, puis par habitude, et deviendra enfin un procédé systématique. De là on veut conclure que l’association et la sympathie sont secondaires, ultérieures, dérivées de la lutte même. La coopération et tous les instincts qui s’y rattachent, bienveillance, bienfaisance, moralité, ne sont que des incidens de la guerre universelle, des mouvemens stratégiques dictés par la considération de l’utilité. L’association n’est qu’une récente découverte de la nature, laquelle est essentiellement insociabilité. La paix n’est, plus ou moins inconsciemment, qu’une ruse de guerre. L’amour est le fils clandestin de la haine. Le philosophe américain qui exposa cette théorie dans la Revue internationale de morale, n’a pas manqué d’en conclure la légitimité de l’impérialisme américain, de la conquête de Cuba et des Philippines, etc. C’est ce qu’il appelait, par un euphémisme à la mode, la « morale de l’expansion. » La guerre contre les Boërs en fut un nouvel exemple, qui deviendra bientôt classique pour les moralistes de la même école. Que dire de l’expansion