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s’empressaient derrière le Roi, sur les remparts des villes ou les anciens champs de bataille, en ayant l’air de boire ses paroles, la seule Mademoiselle l’écoutait avec plaisir ; depuis ses exploits de la Fronde, elle s’était toujours crue du métier.

Monsieur était d’une grande ressource en voyage. Lorsqu’il choisissait d’être avec le Roi, Monsieur savait toujours tant de nouvelles, que toute la carrossée s’animait à l’instant. Le soir, quand les lits se faisaient attendre, il mettait des jeux en train, ou bien il mandait les violons du Roi et donnait le bal ; faute de mieux, on dansait dans une grange. Il n’était sensible qu’aux accidens de toilette ; mais, pour ceux-là, il ne concevait pas que l’on pût les prendre légèrement. Le voyage de 1670 fut contrarié par des pluies torrentielles, et le plus mouillé était toujours le commandant en chef des troupes, obligé de prendre tête nue les ordres du Roi. Monsieur considérait avec une espèce d’indignation la mine piteuse de Lauzun, ruisselant et défrisé, et il disait ensuite : « Pour rien je ne me montrerais à tous comme était M. de Lauzun tantôt : il n’avait pas bon air avec ses cheveux mouillés ; jamais je n’ai vu un homme si affreux[1]. »

Mademoiselle était encore plus indignée que Monsieur ; mais c’était que l’on pût trouver M. de Lauzun laid, « en quelque état qu’il fût, » et que le Roi l’exposât de gaieté de cœur à s’enrhumer : « M. de Lauzun était à tout moment sans chapeau et se mouillait fort la tête. Je disais au Roi : « Sire, commandez-lui de mettre son chapeau ; cela le fera malade. » Enfin je le dis si souvent, que j’eus peur que l’on le remarquât. » Mademoiselle s’inquiétait peu pour elle-même des misères de la route. Aucune femme ne faisait moins de grimaces pour manger un mauvais souper, pour coucher dans sa voiture ou dormir sur une chaise. Elle n’avait cependant pas la réputation d’être bonne voyageuse, à cause de la frayeur insurmontable que lui inspirait l’eau. Dans un gué, elle criait autant que la Reine ; les marques d’impatience du Roi n’y pouvaient rien : « Dès que je la vois, disait-elle de l’eau, je ne sais plus ce que je fais. »

Le reste de la caravane était résigné à camper à la grâce de Dieu. On savait qu’il fallait être content, sous peine de déplaire, et l’on était accoutumé à être mal ; il en était de même dans tous les voyages. En 1667, la cour avait passé une nuit au château

  1. Mémoires de Mademoiselle.