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singulièrement appuyé. « Ces dames se moquèrent de nous, poursuit la princesse. On était fort gai. Je ne sais pourtant quel pressentiment j’avais. Je me mis à pleurer, en le voyant partir ; il fut triste ; on se moqua de nous. Toutes ces dames s’en allèrent aussi ; il ne resta que Mme de Nogent. » C’était la sœur de Lauzun, et Mademoiselle s’était fort liée avec elle dans les derniers mois.

Tandis que l’on perdait du temps au Luxembourg, Louis XIV subissait une sorte d’assaut général pour obtenir qu’il retirât son autorisation : « La Reine et les princes du sang redoublaient leurs instances. Le maréchal de Villeroy[1]se jeta à ses genoux, les larmes aux yeux ; les ministres, à la fin tous ceux qui approchent de la personne du Roi, lui font entendre la voix du peuple… Enfin Dieu toucha tout à coup le cœur du Roi[2]… » Dieu, non, mais une créature de chair : Mme de Montespan trahissait une seconde fois Lauzun.

La Fare affirme que ce fut sur le conseil de Mme de Maintenon, qui n’était encore que Mme Scarron, gagnant péniblement son pain à élever dans l’ombre les enfans du Roi et de Mme de Montespan. Mme Scarron avait infiniment d’esprit, infiniment de prudence, et elle était alors bien loin de toute pensée de rivalité : le Roi ne la pouvait souffrir. Elle racontait plus tard qu’il l’avait prise pour un « bel esprit » n’aimant « que les choses sublimes[3], » et Louis XIV redoutait les Philaminte. Ce fut donc en amie désintéressée, qu’elle « fit voir à Mme de Montespan l’orage qu’elle s’attirait, en soutenant Lauzun dans cette affaire, que la famille royale, et le Roi lui-même lui reprocherait le pas qu’elle lui faisait faire. Enfin elle fit si bien, que celle qui avait fait cette affaire la rompit[4]. » Louis XIV céda aux instances de Mme de Montespan, et envoya chercher Mademoiselle au Luxembourg.

Il était huit heures du soir. Mademoiselle eut un cri, en apprenant que le Roi la demandait : « Je suis au désespoir : mon affaire est rompue. » Arrivée aux Tuileries, on la fit entrer chez le Roi par les derrières, et elle s’aperçut qu’on lui

  1. Ancien gouverneur du Roi, qui lui avait conservé beaucoup d’affection.
  2. Philibert Delamare, loc. cit.
  3. Mme de Maintenon, Lettres historiques et édifiantes. Cf. Mémoire de Mlle d’Aumale, publié par M. le comte d’Haussonville.
  4. L’abbé de Choisy raconte la même scène, mais en l’attribuant à la princesse de Carignan (Marie de Bourbon-Soissons, 1606-1692).