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quelles fermentations intérieures, et s’échappait parfois en bouffées opaques ; et les puissans, à peine réinstallés chez eux par cet acte de Vienne qui, tout ensemble, sanctionnait et enrayait la Révolution, sentaient la terre frémir, et l’atmosphère se troubler, et s’ennuager le ciel.

Metternich racontait plus tard qu’il avait un moment escompté, pour la Sainte-Alliance au berceau, le concours de Goerres ; mais Goerres s’était refusé, n’admettant pas qu’après avoir, avec les armes de leurs peuples, reconquis la liberté pour leurs trônes, les souverains affranchis marchandassent à ces heureux vainqueurs quelques miettes d’autonomie civique. Ce n’est pas à dire que les « libéraux » se pussent réclamer du nom de Goerres. Il souhaitait, comme eux, des constitutions ; mais il voulait que ces documens fussent le fruit de l’histoire, et non d’un a priori philosophique. « Les constitutions d’aujourd’hui, écrivait-il, ne sont point des unions sociales contractées par des hommes libres pour établir des liens mutuels de droits et d’intérêts ; ce sont des morceaux de papier sur lesquels ils ont écrit leur volonté et leur pensée. Aussi aucune bénédiction ne repose sur leurs œuvres, parce qu’elles ne sont bâties que sur le vide. » Le Nassau servait de modèle à l’art de constituer ; or il rendait les hommes égaux dans une servitude commune, et ce qu’on y appelait la liberté n’était qu’un ironique prestige. Bade avait une constitution ; mais, faute de bases historiques, d’institutions libres, de corporations fortes, elle ne reposait que sur une volonté inconstante ; et, donnée par un ordre de cabinet, elle pouvait être reprise avec la même facilité. Les Rhénans souhaitaient une constitution, mais ils avaient tort de persister dans leur aveugle défiance contre l’aristocratie, et de permettre ainsi au pouvoir central de faire bon marché des anciens droits, sur lesquels étaient fondées les prétentions du Tiers État comme celles de la noblesse. Aussi Goerres éclairait-il par des exemples sa façon de comprendre les constitutions : au lieu d’être édifiées comme un château de cartes sur un terrain nivelé, elles devaient, d’après lui, être une sorte de description de l’architecture sociale, et, dans le corps social, régler les rapports des membres avec la tête et des membres entre eux, en s’inspirant de l’histoire et des réalités concrètes. Il détestait, aussi bien dans les conseils des princes que dans les projets des révolutionnaires, deux variétés différentes d’absolutisme : d’une part l’absolutisme de la