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eussent au moins entrevu qu’en 1878 on était au point d’intersection de deux périodes, et que le Congrès, démonstration de paix et d’union, et, à ce titre, non moins nécessaire que ses devanciers, n’aurait pas une moindre valeur, quels que fussent les prétextes spécieux et l’objet matériel de ses délibérations.

Toutefois ces considérations étant plutôt spéculatives et immanentes qu’urgentes et impulsives, le Congrès aurait pu rester longtemps, sans la guerre turco-russe, dans le domaine des éventualités abstraites : le pressentiment de l’Europe avait besoin, comme toutes les énergies latentes, d’un incident soudain qui le mît en éveil ; et il est évident que cette guerre a été la cause déterminante de la résolution prise par les Puissances, et de tout ce qui s’est ensuivi. Mais il convient de reconnaître, en même temps, qu’elle n’eût vraisemblablement pas suffi pour amener la convocation de l’assemblée, si les Cours, en outre des incitations diverses que nous avons rappelées et de la lutte engagée dans les Balkans, n’eussent trouvé dans leurs intérêts particuliers des raisons décisives pour provoquer et pour accepter une réunion aussi éclatante. Rien ne va de soi-même en ce monde, et, si fortes que soient les convenances rationnelles et les occasions de fait, elles n’aboutissent à des résultats pratiques et immédiats que si elles s’ajustent aux calculs des contractans. Or le Congrès avait précisément cette chance heureuse que, sous la forme qu’il allait prendre, et tout en rétablissant une cohésion et une pondération apparentes, si conformes au vœu général, il assurait à chacune des Puissances, ambitieuses ou résignées, des avantages qu’elles avaient à cœur d’obtenir. Un rapide examen de ces vues spéciales achève de dégager les élémens complexes concentras dans la pompeuse assemblée, dont ils ont à la fois favorisé l’avènement, réduit le labeur et les conclusions, et préparé indirectement l’essor.


II

L’Allemagne s’en félicitait à double titre : tandis qu’en 1856, à Paris, le rôle de la Prusse n’avait été qu’accessoire, le nouvel Empire serait, au contraire, prépondérant à Berlin où son chancelier obtiendrait, de droit, et par la force des choses, l’honneur de la présidence. Il y avait là pour elle une sorte de consécration de sa gloire. Le prince de Bismarck jouissait d’autant plus de ce