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riant, à propos d’un mot échappé à l’un de ses enfans sur les belles-mères, j’ai toujours très bien vécu avec la mienne, — pas la première année, il est vrai ; mais depuis lors, elle a compris, et la paix a été complète. »

La conversation se poursuivit quelque temps encore avec enjouement ; mais comme j’allais prendre congé, son visage devint tout à coup fort sérieux, et il s’étendit complaisamment sur les mérites des plénipotentiaires français : il fit avec chaleur l’éloge du comte de Saint-Vallier, s’exprima en termes sympathiques sur M. Waddington qu’il avait vu, le matin même, pour la première fois ; enfin, avec l’intention visible de résumer sa pensée actuelle à notre égard dans une dernière parole, il redressa sa haute taille et ajouta d’un ton ferme, après un instant de silence : « Je suis heureux que vous ayez été mon premier hôte dans cette maison, et il ne dépendra pas de moi qu’il ne s’y passe jamais rien qui puisse être pénible à la France. » J’allai, comme il n’en doutait pas, répéter à nos plénipotentiaires, cette phrase préméditée, et significative au moins pour la durée du Congrès.

Je me hâte de revenir à l’inauguration de nos séances. Les représentans des Cours, arrivés successivement à Berlin, élaboraient en de fréquentes entrevues les principaux thèmes de leurs débats ultérieurs. Déjà se dessinaient les groupes indiqués d’avance par les situations et les aptitudes respectives : celui des chefs de gouvernement investis d’une autorité supérieure : celui des simples plénipotentiaires moins élevés en dignité, et appelés à une collaboration pratique, détaillée et secondaire. La responsabilité demeurait sans doute indivisible, et tous les membres étaient égaux en droit, mais, en fait, les ministres d’État avaient seuls l’initiative et la direction. Un nombreux personnel de fonctionnaires techniques et de diplomates distingués entourait chaque mission. Je citerai seulement le directeur du Cabinet de lord Beaconsfield, M. Montague Carry, maintenant pair d’Angleterre, MM. de Teschenberg et Schwegel, chefs de section au ministère des Affaires étrangères de Vienne, M. Curtopassi, qui fut peu après ministre d’Italie à Athènes, M. Herbette, qui a été plus tard notre ambassadeur à Berlin, les généraux Simmons, Anoutchine et Bobrikof, le baron Jomini, l’éminent collaborateur du chancelier russe, M. de Nelidof, l’un des signataires de la convention de San Stefano et aujourd’hui ambassadeur à