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côté pencherait la fortune ; les Châtillons, auxquels il ne devait pas moins qu’aux Guises, n’étaient pas moins puissans ; et, d’une manière générale, si l’on avait essayé de le circonvenir, c’était du côté protestant :


Je m’étonne de ceux de la nouvelle foi
Qui pour me haut-louer disent toujours de moi :
Si Ronsard ne cachait son talent dedans terre,
Or’ parlant de l’amour, or’ parlant de la guerre,
Et qu’il voulût du tout chanter de Jésus-Christ
Il serait tout parfait…
[ Discours à Loys des Masures.]


Et peut-être, parce qu’il était, comme tous les poètes, sensible et maniable à la louange, peut-être se fût-il, avec tant d’autres, laissé persuader, si le premier article de sa croyance politique n’eût pas été que là où était le Roi, là aussi, et là seulement, était la France. C’est ce que l’on voit bien dans la belle péroraison de la Continuation du Discours des Misères, où il feint que l’ « idole, — c’est-à-dire l’image, — de la France » lui est apparue :


… Comme il pensait que cette pauvre terre,
S’en allait, ô malheur, la proie de l’Angleterre,
Et que ses propres fils amenaient l’étranger
Qui boit les eaux du Rhin, afin de l’outrager.


Elle lui fait sa plainte :


Une ville est assise aux champs savoisiens,
Qui par fraude a chassé ses seigneurs anciens,
Laquelle, en cependant que les Rois augmentaient
Mes bornes, et bien loin pour l’honneur combattaient,
Appelant les bannis en sa secte blâmable,
M’a fait comme tu vois chétive et misérable.


La France regrette que ses rois n’aient pas « rué par terre, » quand il en était temps encore, une telle cité. Mais elle ne désespère pourtant pas d’en triompher un jour, et, en attendant, elle le charge lui, Ronsard, de consigner à la postérité le souvenir de ces temps abhorrés :


Afin que nos neveux puissent un jour connaître
Que l’homme est malheureux qui se prend à son Maître.


C’est, pour ainsi parler, le dernier mot de Ronsard, dans cette longue et passionnée polémique. Il nous ramène à son