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point de départ. Et certes, on n’a pas de peine à comprendre que son attitude ait exaspéré contre lui l’opinion des réformés de son temps. Qui voudra voir quelles injures ils ont opposées à ses raisons, n’aura même pas besoin de consulter le Temple de Ronsard[1], où l’on incrimine tout de lui, sans en excepter ses infirmités, et la lecture de la Réponse à quelque ministre suffira. Mais ce que l’on comprend moins aisément, c’est que ces Discours aient en quelque sorte pesé sur la mémoire du poète, et que, plutôt que de leur rendre la justice qu’ils méritaient, on en ait tu, et comme essayé d’étouffer l’importance dans l’histoire de la poésie française.

Car, on y retrouve bien les défauts habituels de Ronsard, dont les moindres ne sont pas la confusion ou le désordre, et la prolixité.


Les Poètes gaillards ont artifice à part,
Ils ont un art caché qui ne semble pas art
Aux versificateurs, d’autant qu’il se promène
D’une libre contrainte où la Muse le mène
[ Réponse à quelque ministre.]


Ronsard abuse, en général, de cet art qui ne semble pas art, et qui peut bien l’être quelquefois, mais pourtant qui n’est

  1. Il est plus facile de renvoyer au Temple de Ronsard que d’en citer le texte ! Cependant, et puisqu’on reproche au poète, non sans raison d’ailleurs, et pour lui, pour son honneur, et du point de vue du goût, la violence de ses invectives, il est bon qu’on connaisse la grossièreté des injures auxquelles il répondait :
    Ceux-là qui à ce jour feront pèlerinage
    En ton temple sacré, verront un grand image
    Au plus haut de l’autel, et, au-dessous, à part,
    Écrit en lettres d’or : MONSEIGNEUR SAINT RONSARD.
    L’image qui de toi portera la semblance
    Aura dessus le chef la mitre d’inconstance :
    Sous elle apparaîtra un grand front éhonté ;
    Un nez un peu tortu et un peu raboté ;
    Une bouche retorse, une lèvre flétrie,
    Une dent toute noire et à moitié pourrie.
    Ta barbe sera claire, en mémoire qu’un jour
    Le vent te la souffla quand tu faisais l’amour,
    Dont tu auras pouvoir de guérir le malade
    Qui te demandera secours pour la pelade.
    La chape qui sera éparse sur ton dos
    Sera bordée autour de verres et de pots
    Et de flacons aussi, le tout en souvenance
    Que vivant tu auras fait un Dieu de ta panse
    Par-dessous, on verra la blancheur alléchante
    De ton beau surpelis en façon ondoyante
    Où en beaux points luisans sera cousu le nom
    De ton laquais mignard ou de ton Corydon…
    [Édition Blanchemain, VII, 01.]