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prison au pouvoir ; Millaud, Ferrouillat, Varambon, Garel, qui s’y glissèrent, recommandés par leur opposition à l’Empire et leurs titres maçonniques ; enfin les jeunes meneurs de l’Internationale qui, devenus les apôtres de la commune et de la fédération, réclamèrent et obtinrent quelques places. La classe qui croyait s’intéresser seule aux affaires générales, les conduire par les journaux, et créer par son suffrage les réputations des hommes publics, lisait pour la première fois le nom de presque tous ceux qui devenaient ses maîtres. Ils ne comptaient pas dans les lieux où elle fréquente, ils n’avaient aucune des supériorités admirées par elle, très peu savaient parler correctement, plusieurs ne savaient pas écrire. Mais chacun d’eux était connu dans un atelier, dans une corporation populaire, influent dans un quartier, dans une rue, capable d’agir sur un groupe de fidèles par la communauté du travail et de l’existence, parfois aussi omnipotent dans tel quartier de tel faubourg qu’il était ignoré dans tous les autres. Chacune de ces régions minuscules, obscures, mais abondantes en populaire, avait choisi et reconnaissait un de ces inconnus, et triomphait de son avènement. Nul d’eux n’avait un nom, et, réunis, ils étaient une force : poussée silencieuse et rude de prolétaires qui surprenait l’inertie des intellectuels.


V

Ils étaient au pouvoir, et ils entendaient le garder. Aucun scrupule ne les sollicitait de remettre à la population le gouvernement d’elle-même. Chefs des prolétaires, ils n’avaient besoin de consulter ni leurs troupes, ni l’ennemi. Le pouvoir était le prix d’un effort que les petits avaient seuls tenté : accorder par des élections à ceux qui n’avaient pas préparé la victoire le moyen de la compromettre, n’était pas respecter l’égalité, mais voler le peuple au profit des privilégiés. D’ailleurs ce n’est pas seulement l’intérêt personnel qui les rendait hostiles à toute élection. En soi, le droit fondé sur une émeute leur paraissait supérieur au droit fondé sur le consentement général[1]. Toute

  1. Louis Garel, secrétaire du Comité et son historien, a écrit dans son livre la Révolution lyonnaise : « Le suffrage universel donne par sa légalité même un caractère timide et respectueux à ses mandataires qui ont à tenir compte des opinions diverses de leurs mandans, tandis que les révolutionnaires non élus, acclamés, ne tiennent leur mandat que de la situation même qu’ils ont créée, ne sont liés par rien, et agissent librement et énergiquement. »