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montre toute la petite colonie, l’école, le couvent et l’orphelinat. Quand je prends congé, le soleil est à son déclin. Les pics des collines environnantes s’enlèvent en pourpre sur un ciel de topaze. Je rentre par un long détour et je trouve les rues plus encombrées encore que le matin. Je jette un coup d’œil dans quelques boutiques ; mais il n’y a rien qui vaille la peine d’être vu. Les fourreurs paraissent les plus occupés. Ils sont en train de tailler et de façonner nombre de tuniques, de collets, de manteaux. Il y a aussi pas mal de jaquettes étalées, beaucoup sans manches, pour protéger la poitrine et le dos. On met par-dessus des caftans de laine blanche. Rien d’étonnant si les gens ont l’air d’édredons ambulans.

À droite, je remarque un antre fort semblable à une de ces auberges chinoises qu’on trouve au bord des routes. Dans la grande écurie ouverte sont alignés de petits chevaux au poil rude, avec des nattes de paille sur le dos. Un coolie transporte l’eau d’un puits dans deux seaux de cuivre suspendus aux deux bouts d’une longue perche, que d’ailleurs il ne porte pas sur l’épaule mais qui est posée en croix sur son dos.

Puis je passe devant de petites casernes sans prétention ; leur petitesse s’assortit aux soldats dont plusieurs regardent aux fenêtres. À défaut d’une meilleure occupation, ils sont en train de mâcher des graines de citrouille.

Nous arrivons aux boutiques de bric-à-brac : plusieurs vendent de la porcelaine, quelques-unes des articles de bronze et beaucoup des tuiles et toutes sortes de démolitions. Aux carrefours, il y a encore des casernes, bâtisses longues et basses. Les petits hommes n’ont pas seulement le collet rouge, mais aussi le dolman rouge. C’est un quartier de cavalerie, et un petit bout de hussard entre justement au galop. Ce guerrier n’est pas d’un iota plus grand que le petit Poucet et son coursier à peine plus gros qu’un veau de deux mois. Un formidable glaive, qui bat avec fracas les flancs de ce hussard-joujou, menace de le jeter à bas de son cheval. D’un peu plus près, je vois que l’instrument meurtrier est un sabre bien ordinaire. L’uniforme du cavalier est le plus bariolé que j’aie jamais vu. Cela vous fait apprécier le goût des Européens. Le dolman du hussard coréen est couleur de cannelle, son collet et ses paremens sont émeraude et les bandes de sa culotte, safran. Si le plumage d’un perroquet avait été pris pour modèle, l’effet n’aurait pas été plus saisissant.