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Je vais devant moi à l’aventure, quand devant une porte je suis presque renversé par des chiens. Les rues de Séoul, comme celles de Pékin et de Constantinople, sont pleines de ces chiens ; mais ici ils sont bien tenus et vigoureux. Si l’un d’eux se met à aboyer pour annoncer l’approche d’un danger, des aboiemens répondent aussitôt à ce signal à travers tout le quartier. C’est ce qui arrive pour moi. À mon approche, le gardien de service a l’impression que je veux empiéter sur son domaine. Son attitude envers moi n’est rien moins qu’amicale et comme je ne suis armé ni d’une canne, ni d’un parapluie, instinctivement je me baisse pour ramasser une pierre. Il n’en faut pas plus pour m’attirer un bout de conduite. Il est tout à fait dans son droit et l’incident n’a pas d’autre suite que de me montrer à quel fidèle chien de garde j’ai affaire.

Le sujet de la race canine en Corée mérite quelques mots, parce que ces chiens sont parmi les physionomies les plus typiques des rues de Séoul, et je dois confesser que je n’ai jamais vu d’animaux mieux dressés. Dans les rues, ils sont les plus doux des quadrupèdes et aussi paisibles que des agneaux ; un seul mot suffit pour que le chien de Séoul regagne sa porte ; il sait que c’est son devoir d’être là. Il restera couché dans la petite cour pendant des heures et des heures : mais il aime plus que tout s’installer confortablement sur le seuil, la tête dans la rue de manière à surveiller toute approche. Tant qu’on tient le milieu de la route, il ne fait aucune attention : tout au plus ira-t-il jusqu’à dévisager les gens vêtus de noir et qui n’ont pas la face jaune, spectacle auquel il n’est pas habitué, attendu que, depuis qu’il est venu au monde, il n’a vu que des caftans blancs. Que vous dirigiez vos pas vers la maison, il pousse un ou deux grognemens ; si vous approchez davantage, il aboie de toutes ses forces ; mais il réserve son attaque jusqu’à ce que l’étranger soit à environ un mètre. Durant ce temps, les forces auxiliaires du voisinage ont pu faire leur concentration et vous avez toute la brigade grondant et jappant à vos talons. Cet effroyable pandémonium amène le maître de la maison ou un membre de sa famille au centre du désordre, et un seul mot, ou simplement un signe, suffit à faire battre en retraite le cerbère, qui regagne sa place en secouant la queue.

L’obscurité descend dans un calme suprême. La fraîche nuit d’automne étend silencieusement le voile gris de sa brume sur