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une intelligence et un talent poétique extraordinaires ; qu’elle lisait ; à livre ouvert les auteurs grecs et latins ; que peu d’hommes l’égalaient pour la connaissance et la compréhension des vieux poètes italiens, et, notamment, de Dante, dont elle avait fait son étude particulière ; et que déjà elle avait écrit de jolis sonnets, où se retrouvait, avec plus de grâce féminine, l’impeccable maîtrise de style de son père. On savait qu’elle s’entendait d’instinct à la peinture et à la musique, avec une âme ardemment éprise de toutes les formes de la beauté. Et l’on savait enfin qu’elle était merveilleusement belle, blonde avec les yeux noirs les plus magnifiques du monde, et si noble et si douce, dans l’expression de son visage comme dans tous ses mouvemens, que personne n’avait pu l’approcher sans en devenir amoureux.

Dix ans plus tard, en 1822, cette même jeune femme attirait de nouveau sur elle l’attention de l’Italie tout entière : mais l’ancienne sympathie s’était changée en un sentiment à peu près unanime de répulsion et de haine. La belle Costanza Perticari-Monti se voyait honteusement chassée de sa propre maison. Toute la famille de son mari, tous ses amis, et jusqu’à ses plus intimes confidens, se détournaient d’elle, ne daignant point même répondre à ses lettres. Ses parens, en vérité, avaient consenti à le recueillir chez eux : mais eux aussi l’accusaient, l’accablaient de reproches, ou bien lui faisaient sentir par leur silence qu’ils la jugeaient désormais indigne de leur affection. C’était la mort de son mari, survenue au mois de juin 1822, qui avait déchaîné contre elle toute cette tempête : car sans cesse des lettres manuscrites répandues de main en main, et bientôt suivies de pamphlets imprimés, affirmaient qu’elle seule avait été cause de la mort de Perticari, tant par le scandale de son inconduite que par la façon inhumaine et brutale dont, en toute circonstance, elle l’avait traité. Et il y avait plus : à l’autopsie du corps de Perticari, les médecins avaient découvert dans l’estomac des taches brunes, qui pouvaient être le signe d’un commencement de gangrène, mais où l’on pouvait voir aussi les traces d’un empoisonnement ; et bien que le plus considérable de ces médecins proclamât hautement le caractère naturel de la mort du mari de Costanza, la plupart des anciens amis de celle-ci continuaient à croire et à répéter que, non contente d’avoir causé la maladie de Giulio, c’était elle encore qui l’avait achevé en lui donnant du poison.

Aujourd’hui, près d’un siècle s’étant écoulé depuis cette aventure tragique, l’Italie a oublié la plupart des personnages qui s’y