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prosodie ; tandis que la mère, dont la valeur morale était peut-être plus douteuse encore, n’a guère eu à lui apprendre que l’amour du luxe, la coquetterie, et l’art de séduire les hommes tout en les méprisant. Si bien que, à comparer l’âme de la jeune femme avec celles des parens qui l’ont élevée, on se demande d’où ont pu lui venir les précieuses qualités que, malgré ses fautes, on découvre chez elle : son désintéressement et sa générosité, son horreur passionnée du mensonge, le penchant tout chrétien qui, plus tard, l’a portée sans cesse davantage au pardon des offenses et à la dévotion.

Tout cela lui est venu sans doute, en partie, de sa nature, mais peut-être le germe qu’elle en avait se sera-t-il développé sous l’influence de l’exemple et des enseignemens de son mari : car celui-ci, à l’opposé des parens de Costanza, paraît bien avoir été un homme de sentimens délicats et nobles, digne de la vieille race d’honnêtes gens dont il était issu. Mlle Romano lui reproche d’avoir été avare ; mais sa femme, au contraire, s’est plainte à plusieurs reprises de sa prodigalité. Je ne vois pas non plus qu’on puisse lui faire un grand crime d’avoir, d’abord, caché à sa jeune femme qu’il avait eu d’une autre femme un enfant naturel, et, plus tard, de s’être intéressé au sort de cet enfant. Et non seulement, de l’aveu de tous, il est toujours resté fidèle à Costanza depuis son mariage, mais il la aimée, jusqu’au bout, de l’amour le plus tendre et le plus indulgent : à tel point que, lorsqu’enfin elle est accourue près de lui, à la veille de sa mort, il l’a accueillie dans ses bras avec des larmes de joie, oubliant tout ce qu’on avait pu lui dire contre elle, et tout ce qu’elle-même avait fait contre lui.

Malheureusement il aimait trop sa femme pour s’aviser qu’elle n’était encore qu’un enfant. Au lieu de travailler d’abord à la former et à se l’attacher, il s’est empressé de l’entourer d’un groupe brillant de jeunes hommes, la forçant à les tutoyer, à les traiter en camarades, à vivre avec eux dans une familiarité continue. Rien de curieux comme les lettres de Costanza, dès le lendemain de son mariage, aux anciens compagnons de plaisir de son mari ; elle les invite à venir distraire sa solitude, leur fait des querelles de jalousie quand ils espacent leurs visites, termine en les assurant de son « fidèle amour. » Tout cela le plus innocemment du monde, nous le sentons bien ; mais peu à peu, par la force des choses, elle en arrive à prendre avec ses amis deux tons différens, suivant que ses lettres risquent ou non d’être lues de leurs femmes, ou de son mari. Un jour, ce dernier ayant installé chez elle un improvisateur florentin, la jeune femme s’aperçoit que ce