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I

Né le 15 avril 1812 à Paris, seize ans après Corot, Théodore Rousseau allait manifester dans sa façon de comprendre et d’exprimer le paysage des visées très personnelles. Il était le fils d’un tailleur originaire de Salins, dans le Jura ; mais sa famille n’était pas tout à fait étrangère au goût, ni même à la pratique des arts, et, parmi ses ascendans, du côté de sa mère, on comptait des peintres et des sculpteurs. Après avoir reçu quelque instruction, l’enfant avait été envoyé, à l’âge de treize ans, pour fortifier sa santé, chez des parens qui habitaient la campagne, en Franche-Comté. Il y avait passé une année, vivant au grand air, au milieu des forêts, parmi des bûcherons et des charbonniers. Frappé par la beauté du pays, il essayait déjà de crayonner naïvement quelques-uns des aspects de cette contrée sauvage. À son retour à Paris, son père, préoccupé de son avenir, rêva un moment de le voir entrer à l’Ecole polytechnique. Mais les souvenirs, restés très vivaces, de son séjour en Franche-Comté revenaient sans cesse à l’esprit du jeune homme et lui inspiraient le désir ardent de se faire paysagiste. Tout en continuant ses classes, il était parvenu, sans en rien dire à personne, à acheter sur ses petites économies une boîte de couleurs ; et ainsi muni, il se mit à peindre, pendant l’été de 1826, d’après le cimetière et le télégraphe de la Butte-Montmartre, une petite étude que plus tard il ne jugeait pas indigne de figurer à l’Exposition Universelle de 1867.

Ses parens, pleins de tendresse pour lui, cédèrent alors à ses instances et lui permirent de suivre sa vocation. Après une saison passée à Compiègne, chez un cousin de sa mère, le peintre Pau de Saint-Martin, Rousseau était, sur ses conseils, entré dans l’atelier de J. Joseph-Rémond qui, avec un Enlèvement de Proserpine, avait en 1821 obtenu le grand prix de Rome pour le paysage historique. Élève de Bertin, Rémond était alors considéré comme un des représentans les plus accrédités des doctrines académiques ; mais jusqu’à la fin de sa longue carrière, — il mourut le 15 juillet 1875, à l’âge de quatre-vingts ans, — il ne devait pas cesser de s’inspirer de la nature, en cherchant les motifs de ses tableaux, soit dans le midi de la France, soit en Suisse ou en Italie. Avec les leçons de Rémond, Rousseau avait même, un