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dissociés ils sont les molécules spéciales qui méritent le nom d’ions.

Précisons ces états. Avant le passage du courant, dans la molécule ordinaire l’ion positif et l’ion négatif sont chimiquement unis, liés, combinés, et par conséquent (c’est la définition de la combinaison chimique) méconnaissables en tant qu’individus, dissimulés au point de vue de leurs propriétés individuelles physiques et chimiques, et, en particulier, de leurs propriétés électriques. Électriquement, ils semblent déchargés et indifférens. Au moment du passage une décomposition chimique se produit : les ions sont séparés avec leur charge : il ne subsiste plus entre eux qu’une union physique, un rapprochement tel qu’il se produit entre des corps chargés d’électricités opposées. Ces ions sont chimiquement séparés et physiquement unis. C’est la manière de voir que Grotthus (1805) a proposée, il y a exactement cent ans. Le courant oriente ces couples d’ions accolés, en files régulières comme des grains de chapelet ; puis, l’attraction de l’électrode l’emportant sur celle du conjoint, les ions se séparent dans chaque couple. L’ion positif s’unit à son voisin négatif pour former avec lui une liaison passagère, qu’il rompt bientôt ; et il continue ce manège avec le suivant, se dirigeant ainsi vers la cathode où il se décharge. L’anion correspondant, son conjoint primitif, se comporte de la même manière ; et marchant en sens inverse, il va, de proche en proche, se décharger à l’anode. Les ions transportent donc leurs charges aux électrodes, et c’est là toute l’opération du passage du courant, c’en est tout le mécanisme.

Il est donc permis de dire que les ions sont les convoyeurs du courant et les seuls élémens de la solution saline qui remplissent cet office. L’eau parfaitement pure qui les baigne est tout à fait impropre au passage de l’électricité : elle est un corps isolant. L’électricité ne chemine que grâce aux ions, ils la transportent par convection. Les corps liquides qui ne se décomposent point électrolytiquement en ions ne conduisent pas l’électricité, ce ne sont pas des électrolytes.

L’explication précédente est toute figurative : au résumé, elle assimile le manège des ions convoyeurs à l’évolution chorégraphique de ces deux files de cavaliers et de dames qui dans certaines danses forment, en marchant en sens contraires et en se prenant et s’abandonnant successivement les mains, la figure que l’on appelle chaîne anglaise. La conception de Grotthus est bien vraiment une hypothèse ; mais il semble que l’on n’en puisse pas former de plus simple et de mieux adaptée aux faits qu’il s’agit d’expliquer. Les plus