Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 28.djvu/297

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans l’ordre économique, dont ils se regardent comme les défenseurs, que dans l’ordre politique ? Je lisais, il y a quelques mois, un discours fort intéressant de M. Georges Leygues, sur le chapitre des remontes de cavalerie, lors de la discussion du dernier budget de la Guerre. Au nom de toute une région de la France, qui élève, ou, si l’on pouvait dire, qui « fabrique » le cheval de cavalerie légère, M. Georges Leygues se plaignait que les sommes consacrées par l’Etat à l’achat de cette sorte de chevaux ne fussent pas assez considérables. Et là-dessus, tout naturellement, je me demandais ce qu’ils diraient donc, ses électeurs et lui, si demain, et conformément au vœu de nos pacifistes, en « désarmant » la cavalerie française, on mettait à deux doigts de leur ruine les agriculteurs qui font l’élevage des 15 ou 20 000 chevaux indispensables à son service ? Étendons maintenant et généralisons l’hypothèse. Si l’on procédait demain au désarmement, qu’est-ce que nos pacifistes feraient des millions de Français dont le principal moyen d’existence est de contribuer, dans leur spécialité, à l’entretien d’un contingent de quatre ou cinq cent mille hommes ? Ou encore, qu’est-ce qu’ils feraient des ouvriers de nos arsenaux de Toulon, Brest, Lorient, Cherbourg et Rochefort, et de ceux du Creusot, et de ceux des Forges et Chantiers de la Méditerranée, si l’on cessait demain de construire des cuirassés, des croiseurs et des torpilleurs ? La fabrication du drap de troupe fait vivre des milliers de Français, et pareillement la fabrication des chaussures pour nos soldats : de tous ces ouvriers, qu’est-ce que feraient nos pacifistes ?

C’est ce qu’ils ont oublié de nous dire, ayant sans doute oublié d’y songer ! Nos civilisations modernes, très vieilles et très complexes, sont ainsi composées d’une infinité de parties qui se tiennent, de parties étroitement « solidaires » les unes des autres, au vrai sens, au sens naturel et précis du mot ; et la conséquence de cette solidarité, c’est que l’on ne saurait modifier l’une quelconque de ces parties que, de proche en proche, et nécessairement, la modification ne s’étende à toutes les autres. Pas plus en France qu’en Allemagne, ou ailleurs, on ne saurait donc procéder au désarmement sans atteindre plus ou moins profondément dans leurs sources les manifestations de l’activité nationale, commerce, industrie, science même. Le cas que développait M. Georges Leygues dans le discours que je rappelais est sans doute un des plus saisissans ! Si l’on cessait d’avoir en France