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de montagnes à structure très compliquée, d’accès fort difficile, qui gardent l’entrée des hautes terres thibétaines peut-être plus efficacement que ne le font au nord et au sud le Kouen-loun et l’Himalaya. Quand on vient du Pamir, la route fait des soubresauts prodigieux en ce sens que, descendue dans des gorges d’une profondeur vertigineuse, il lui faut gravir jusqu’à des cols plus élevés que le Mont-Blanc lui-même, et ce n’est point une route comme nous les connaissons, un chemin du Simplon ou du Saint-Bernard, mais un sentier, un escalier, une ornière de boue, une très périlleuse glissade dans les précipices. Et qu’on ne croie pas que le voyageur, après avoir escaladé « les degrés du ciel » et être parvenu sur « le toit du monde, » soit au bout de ses peines. Le plateau thibétain, tel qu’on se le représente d’après les toutes récentes explorations, s’étale en une surface prodigieusement bosselée, bordée et traversée d’occident en orient, par cinq énormes chaînes de montagnes qui, ramassées sur le méridien du Korakorum en un faisceau étroit, s’épanouissent vers l’est, en éventail, en s’inclinant soit au nord, soit au sud, puis se resserrent de nouveau pour s’incliner en sens inverse. Ces chaînes sont elles-mêmes faites d’un certain nombre de rangées plus ou moins parallèles entre lesquelles s’allongent ou s’élargissent des vallées, des plaines, des plateaux, remblayés à des degrés divers par la destruction et la dilapidation des hauteurs. De ces sierras s’élancent les pics les plus aériens de la terre atteignant 7 000 mètres et plus dans le Kouen-loun et dans les chaînes et contrechaînes qu’il pousse dans l’intérieur du plateau, et plus de 8 000 mètres sur la bordure de l’Himalaya où pointe la cime suprême du Gaourisankar (8 842 mètres) supposé jusqu’à ce jour le géant de la Planète.

Mais l’escalade des hauteurs, l’âpreté des défilés, la glissade dans les ravins ne sont pas les seuls obstacles contre lesquels lutte le voyageur qui traverse le Thibet. Aux périls de la route viennent s’ajouter la rigueur du climat et le peu de ressources de la contrée. Sur le plateau thibétain le froid est excessif, la température ne dépasse pas 15 à 16° en été et descend à plus de 40] au-dessous de zéro en hiver ; la neige ne quitte jamais les hauteurs. « Le séjour des Dieux » est aussi « le royaume des Neiges, » comme l’appellent les Boutaniens et les Hindous. Ces froids sont d’autant plus redoutables que le combustible manque presque complètement, et qu’on est obligé pour se réchauffer