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JULIE DE LESPINASSE[1]

LES AMIS DE PASSAGE. — LA VIE INTIME


I

Vers le milieu du XVIIIe siècle se produisit un fait d’une importance et d’une portée considérables : l’Europe découvrit Paris, et Paris découvrit l’Europe. C’était un événement nouveau dans l’histoire de notre pays. Déjà sans doute auparavant, dans la seconde moitié du XVIe siècle et au commencement du suivant, les alliances de deux de nos rois avec les Médicis avaient fait pénétrer chez nous quelques élémens étrangers ; mais cette infiltration, d’ailleurs assez restreinte, provenait de la seule Italie et ne s’étendait qu’à la Cour. Sous le long règne de Louis XIV, la société française était restée presque exclusivement nationale : la cause en est essentiellement dans l’état de guerre perpétuel où nous étions alors avec les trois quarts des puissances, à quoi s’ajoutait cet orgueil, ancré dans l’âme des sujets du grand Roi, qui leur faisait considérer la France comme l’unique foyer des lumières, tandis que les peuples voisins végétaient dans les limbes d’une demi-barbarie. Cette sorte d’isolement hautain survécut quelque temps au souverain qui l’avait créé ; mais, dans les environs de l’année 1750, après la paix d’Aix-la-Chapelle, on vit, comme sur un mot d’ordre tacite, affluer subitement vers les rives de la Seine une multitude de gens venus de tous les points du monde civilisé, Autrichiens, Polonais, Danois, Italiens,

  1. Voyez la Revue des 1er et le avril et Du 15 juin.