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demeura tranquille, silencieux et se conduisit avec beaucoup de décence et de dignité, ne paraissant occupé que de M. Turner, et ne tournant pas une seule fois ses regards vers ses parens, et l’officier qui était chargé de lui. Tous les gestes qu’il faisait annonçaient beaucoup d’intelligence et semblaient ne venir que de lui-même. Et si, ajoute l’ambassadeur anglais, on prit beaucoup de peine pour le préparer à se bien conduire en cette occasion, il faut avouer que cette peine ne fut pas perdue.

Le Grand-Lama de Taschi-lumbo, et le Grand-Lama de Lhassa, chacun dans leur territoire respectif, cumulent le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel ; ils tiennent à la fois les clefs du ciel et de la terre ; ils sont les souverains maîtres de toutes choses. Tout le territoire, y compris les maisons, leur appartient ; les habitations ne sont que des abris dont le séjour est toléré par le maître universel. Pour l’administration des affaires temporelles, ils délèguent leurs pouvoirs à une sorte de vice-roi, choisi d’habitude parmi les supérieurs de grands couvens, lequel est assisté de cinq ministres ou kalons. Tout d’ailleurs est subordonné au clergé en ce pays. Ce sont les lamas qui détiennent presque toutes les fonctions administratives et civiles, qui exercent la justice rendue, au premier degré, par des tribunaux composés de trois juges pris parmi les novices du clergé, et en appel par des tribunaux supérieurs composés de lamas eux-mêmes, qui perçoivent à la fois les impôts du contribuable et les redevances spirituelles des fidèles. Du clergé dérive toute science : les imprimeries se trouvent dans les monastères ; et, en dehors des livres sacrés, ne sont publiés que des ouvrages conformes à la foi et des livres de magie. Même les lamas font le commerce des objets pieux tout comme des articles profanes. Presque toutes les terres sont la propriété des couvens qui les font travailler par les paysans attachés à la glèbe.

En résumé, le clergé thibétain possède tous les élémens de domination connus : l’autorité religieuse, la richesse territoriale, la suprématie financière et commerciale, la force armée et la discipline, et il n’est pas jusqu’au prestige qui dérive du principe d’hérédité que les lamas n’aient accaparé en trouvant le moyen d’attribuer à ceux d’entre eux qui sont revêtus d’une haute autorité spirituelle l’incarnation, l’hypostase divine, dont ce n’est point seulement la race qui se perpétue à travers le siècle, mais