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la personne elle-même qui se réincarne, toujours identique, sous des formes successives. Grâce à sa hiérarchie si fortement organisée et à l’inflexible discipline à laquelle tous ses membres sont soumis, le clergé thibétain a acquis une puissance matérielle et politique inouïes.

Le peuple thibétain ne vit, n’agit, ne travaille, ne respire que pour le clergé, mais, si lourd que pèse sur lui le joug, il supporte avec docilité la domination des lamas, et suit avec zèle le culte et les rites du lamaïsme, et il n’est pas un fidèle du rite Galugpa qui n’aspire au bonheur suprême de faire en sa vie le pèlerinage de Lhassa ou de Chigatsé et de se prosterner en adoration devant les deux chefs spirituels du lamaïsme.

De Mongolie, de la Chine, de Birmanie, du Siam, du Népal, du Boutan, de Ceylan, du Japon, de Russie même, affluent les pèlerins vers les deux sommets de Potala et de Taschi-lumbo, bravant les difficultés du chemin, les privations et les intempéries et mettant quelquefois trois ans pour accomplir le voyage. De pieux pèlerins qui se rendent à Lhassa font d’abord sept fois le tour de la ville, non pas en marchant, mais en faisant des génuflexions et des mouvemens spéciaux. Ils mesurent avec leur corps le périmètre de la ville, en se laissant tomber tout de leur long, se relevant et tombant de nouveau, leurs pieds placés à l’endroit qu’à précédemment touché leur tête, exercice très difficile et qui nécessite un long entraînement. Souvent, pour commencer, on met sur les paumes des mains de petites planchettes qui amortissent les coups, puis on apprend à poser les bras sur le sol d’une certaine façon afin d’éviter les foulures et les fractures des os du poignet. Ces pèlerins mettent ainsi trois jours à faire le tour de la ville, mais d’autres font le même exercice en y mettant plus d’un mois. Ceux-là font le tour de la ville sept fois avec leur face qu’ils appliquent contre le mur en déplaçant le nez à chaque mouvement. Parvenu au bout de ses peines, le pèlerin fait enfin l’ascension du Potala qui dresse à un quart d’heure de marche de la ville, à trois cents mètres de hauteur, son énorme masse de palais, de tours, de bâtisses, le tout entouré de murailles, et contenant, au dire de Nazounoff, qui l’a visité en 1901, plus de trois mille chambres. Un autre Bouriate d’origine russe, Agouan Dordjief, qui a visité le Vatican à Rome, assure que la résidence du dalaï-lama est beaucoup plus grande que celle du Pape. C’est au fond d’une de ces salles