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mesure que je demandais à expliquer, je retrouvais peu à peu la sympathie d’une partie des auditeurs en leur parlant de la République qui ne pouvait être définitivement assise sur la base nécessaire du suffrage universel que par l’adhésion de ses anciens adversaires, et de la patrie qu’il n’était possible de sauver que par l’union de tous ses enfans. Je leur disais comment à Paris la Révolution du 4 septembre s’était accomplie ; ce que je venais d’y voir et l’impression réconfortante que j’en avais rapportée ; tous les partis oubliant leurs divisions pour se dévouer à la défense nationale : « On peut concevoir, ajoutais-je, deux manières de fonder la République : la première et suivant moi la bonne, c’est de la faire aimer ; l’autre plus contestable, c’est de la faire craindre, au risque de la rendre odieuse. Encore faut-il choisir entre ces deux politiques, et ne pas faire à Lyon l’essai de la terreur, quand à Paris, c’est la République de liberté et de fraternité qui gouverne. »

J’obtins d’abord quelques timides applaudissemens, vivement réprimés par les cris : « À bas la claque ! » Puis les manifestations approbatives devinrent plus nombreuses, et quand je terminai ma harangue au milieu d’applaudissemens nombreux, je crus avoir cause gagnée.

Mais en sortant par la porte qui s’ouvrait sur la place de la Croix-Rousse, je me trouvais en face d’une foule hurlante, qui n’avait pas entendu, et à laquelle je ne pouvais faire écouter mes explications.

Ce n’était plus cette population inquiète, ombrageuse, irascible, mais laborieuse et sincère, qui rêve d’un idéal social tout en tissant la soie, au bruit monotone des métiers ; c’étaient les vagabonds, les repris de justice, les gens sans aveu, aux faces congestionnées par l’envie et par la haine, qu’on ne voit rassemblés en si grand nombre qu’aux jours d’émeute, l’écume des grandes villes poussée à la surface par l’orage. Et les poings se tendaient vers moi, éclairés par la lueur des becs de gaz dans la nuit ; et la foule criait : « À bas ! À bas Andrieux ! Il a mis en liberté Sencier. À l’eau ! À l’eau ! »

Dans la rue, comme dans l’enceinte des parlemens, les hommes assemblés sont lâches ; l’intensité des sentimens bas et vils est en raison directe du nombre de ceux qui les éprouvent en commun.

À Lyon, toujours près du fleuve ou de la rivière, entre le Rhône et la Saône, le cri : « à l’eau ! » c’est le cri de mort, et il