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eût été sans doute ma condamnation, suivie d’une exécution rapide, si un brave limonadier du coin, plus tard conseiller municipal, le citoyen Ruffin, n’avait eu l’idée de requérir les gardes nationaux du poste voisin et de provoquer mon arrestation.

Au milieu d’un peloton d’hommes armés, je marchais vers le poste de la mairie de la Croix-Rousse, et, satisfaite de cet acte de justice, la foule applaudissait, tout en continuant ses injures et son charivari.

Ruffin m’avait arraché à l’exécution sommaire ; mais les gardes nationaux prenaient au sérieux leur rôle de justiciers, et, se tenant pour responsables de leur prisonnier vis-à-vis du peuple, ils m’enfermèrent dans une sorte de cave, qui, d’ordinaire, sous le nom populaire de « violon, » servait de lieu de détention provisoire pour les malfaiteurs jusqu’à l’heure de leur transfert au dépôt du Palais de Justice.

La salle où je me trouvais n’avait pas servi depuis le 4 septembre ; elle conservait les traces et les odeurs des hôtes qui m’y avaient précédé ; un peu d’air et une vague lueur de réverbère y pénétraient par une sorte de chatière fermée par des barreaux de fer. Cette ouverture ne tarda pas à être découverte par les rôdeurs qui guettaient leur prisonnier. Et par ce trou, les huées contre moi recommencèrent, et des pierres me furent jetées, aux coups desquelles j’échappais en me tenant debout, sous la lucarne, le dos contre la muraille.

Puis mes tortionnaires se lassèrent ; le silence se fit ; le réverbère d’en face s’éteignit ; l’obscurité fut complète autour de moi. Il devait être près d’une heure du matin quand le pêne de la serrure grinça sous l’effort d’une lourde clef. Tandis qu’une lanterne portée par l’un de mes gardiens jetait sa lueur sur les murs de ma prison, je vis entrer un matelas plié en deux, des côtés duquel pendaient à droite une bouteille de vin, à gauche un panier de victuailles.

Quand le matelas fut par terre, je vis la tête souriante du bon Ruffin, qui, dès que la foule se fut dispersée, avait songé à m’apporter de quoi manger, boire et dormir. Ce n’était pas de refus ; car avant de monter à la salle Valentino, je n’avais pas eu le loisir de dîner.

A quatre heures et demie du matin, nouvelle alerte : cette fois c’était la liberté que m’apportait le citoyen Métra, colonel de la garde nationale. S’inclinant devant ses galons, mes gardiens