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du drame que nous avions intitulé la Chine qui s’ouvre[1]. Les victoires du Japon sur terre et sur mer, le recul de l’Europe, qui en est la conséquence, l’élimination de la puissance russe des mers d’Extrême-Orient ne laissent au premier plan, en face de la « Chine en convulsion, » que le Japon triomphant ; en attendant le concurrent américain qui se prépare et qui s’arme, il est le maître des mers Jaunes ; il est en mesure de peser à son gré sur les destinées de l’Empire du Milieu ; dans la lutte pour le Pacifique, le vainqueur, c’est lui.

Les conséquences de cette entrée de la Chine, avec ses 400 millions d’habitans, dans le courant de la vie moderne, apparaissent aujourd’hui plus importantes encore qu’il n’était permis, naguère encore, de le deviner. Cette « modernisation » prochaine d’un empire qui passait, à tort d’ailleurs, pour l’image même de l’immutabilité, ne peut plus être mise en doute, mais la manière dont elle s’achèvera reste incertaine : elle peut être le résultat de la pénétration d’étrangers venus de tous les pays et de l’action concordante de toutes les puissances de culture européenne ; sur le vieux fonds immuable des mœurs antiques viendrait se surajouter l’édifice hétéroclite d’une Chine cosmopolite ; les étrangers présideraient à sa mise en valeur économique, à la création des industries, des chemins de fer, de tout l’appareil des civilisations occidentales : la transformation de la Chine serait alors, si l’on ose employer pareil jargon, une « européanisation. » Ce résultat paraissait être, il y a peu de mois encore, le plus probable ; mais les victoires du Japon ont modifié singulièrement les positions respectives des concurrens ; c’est l’exemple de ses succès qui décide le triomphe du mouvement réformateur en Chine ; c’est par son intermédiaire que les Chinois se résignent à accepter notre civilisation que leurs adroits voisins ont l’art de leur présenter sous une forme aisément assimilable et dont ils savent à merveille leur déguiser l’origine étrangère ; en se mettant à l’école du Japon, les Chinois espèrent surtout apprendre de lui les moyens d’éliminer peu à peu les Occidentaux de l’Extrême-Asie et de se passer de leur concours. La transformation de la Chine s’opère donc sous la forme d’une « japonisation : » elle pourrait amener à bref délai, si nous n’y prenions garde, l’exclusion des Européens. Mais un parti déjà

  1. La Chine qui s’ouvre, par René Pinon et Jean de Marcillac, 1 vol. in-12 ; 4e édition ; Perrin, éditeur, 1900.