Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 28.djvu/804

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

auraient cessé brusquement ; les agens japonais à Pékin seraient devenus les protecteurs de la dynastie. Pareille volte-face pose pour nous, maîtres de l’Indo-Chine, un nouveau problème de tactique politique ; nous avions jusqu’ici regardé les révolutionnaires du Kouang-si et du Kouang-toung comme des agens de l’influence britannique et nous redoutions leur succès ; si, au contraire, le Japon, entraînant à sa suite l’Angleterre, vend à la dynastie mandchoue son appui pour venir à bout de toutes les résistances et, en attendant peut-être qu’il puisse la supplanter, exerce sa propre influence sous le couvert de l’autorité de l’Impératrice, les conditions du problème se trouvent retournées : en face d’une Chine japonisée, nous pourrions voir sans regret se former à nos portes, dans les provinces méridionales, une Chine indépendante et vraiment chinoise où nous aurions le champ libre pour exercer l’influence à laquelle notre empire indo-chinois nous donne le droit et le moyen de prétendre. Les triomphes du Japon ont modifié complètement la situation respective des puissances en Extrême-Orient ; les nations de l’Europe continentale vont peut-être se trouver obligées d’envisager sous un nouvel aspect l’avenir de l’Empire du Milieu. L’attitude nouvelle des Japonais est en tout cas la preuve que la Chine et sa dynastie elle-même sont aujourd’hui si imprégnées de japonisme, que le gouvernement du Mikado sent le moment venu de recueillir les fruits de sa politique de pénétration lente et d’initiation progressive.


II

Il est très difficile de saisir sur le vif et d’analyser les moyens d’influence et les méthodes de pénétration des Japonais ; leur extérieur, le costume qu’ils savent adopter, l’écriture dont ils se servent, la langue qu’ils apprennent facilement, leur permettent de passer inaperçus dans les provinces les plus reculées de la Chine : là où l’Européen soulèverait une émeute, le Japonais s’installe sans provoquer d’émotion ; colporteur, journaliste, barbier, photographe, marchand, il sait partout se rendre utile, bientôt indispensable ; insinuant et souple, poli jusqu’à l’obséquiosité, habile à jouer les personnages les plus divers et à se glisser dans la familiarité du Yamen des hauts mandarins, il sait tout, il a tout vu et tout retenu ; on n’a pas oublié l’histoire