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de cet amiral américain qui reconnut dernièrement, dans un capitaine de vaisseau japonais, son ancien cuisinier ! Merveilleusement doué pour tous les métiers et tous les rôles, le Japonais est espion de naissance comme il est soldat de race ; il est commerçant comme il est marin ; il a une aptitude instinctive à s’accommoder des circonstances et à plier ses desseins à leur mobilité ; les vertus de sa race et de son Empereur, la gloire de son pays, il sait les faire valoir, les vanter avec tout l’art d’un voyageur de commerce passé maître en la réclame ; mais ce qu’il colporte, lui, c’est la grandeur et la puissance de sa patrie, c’est sa suprématie militaire, économique, politique ; son abnégation patriotique ennoblit les moyens parfois équivoques qu’il n’hésite pas à employer pour parvenir à ses fins. L’effort de tous ces Japonais, isolés, comme perdus dans l’immensité de l’Empire du Milieu, n’est incohérent qu’en apparence ; tout, au contraire, aboutit à l’organisme central, au gouvernement d’où vient le mot d’ordre et l’impulsion ; tout est préparé en vue d’un objet déterminé d’avance et patiemment poursuivi : l’infiltration japonaise a l’air d’un immense complot. Dans la lutte pour la vie et pour la prééminence politique, le Japonais se montre tel qu’il est sur le champ de bataille : lorsqu’il aborde la position dont il a reçu l’ordre de s’emparer, il reste invisible, il chemine à couvert, s’abrite derrière le moindre obstacle, ploie son corps souple aux formes du terrain, creuse en quelques coups de bêche un trou où il se terre et d’où il fait le coup de feu ; mais le terrain une fois conquis lui appartient : on peut le tuer, on ne le fera pas déguerpir ; personne ne l’a vu arriver et cependant il est là, il s’établit sur la position et il y reste.

Dans quelle mesure les réformes et les innovations sont-elles suggérées aux Chinois par cette influence japonaise qui s’insinue d’abord pour s’imposer ensuite ? Il est difficile de le dire ; on peut du moins constater la présence et l’action des Japonais partout où une réforme s’accomplit ou se prépare. Depuis 1895, et surtout depuis 1900, la Chine, vaincue et humiliée à deux reprises, travaille, sous la haute direction des Japonais, à constituer une armée à l’européenne. Yuan-Chi-Kai, l’admirateur et l’ami des Japonais, a le premier donné l’exemple ; ses collègues ont suivi ; les corps de troupes de chaque province sont encore peu nombreux, sauf celui de Yuan qui compte, dit-on, de 30 000 à 50 000 hommes