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d’abord « grand fracas. » On devait des égards à des parens d’une grâce et d’une bonté si parfaites. — Or il y avait une question sur laquelle ils n’eussent admis aucune concession : c’était, non pas comme pour Mme Birch, la question d’argent, mais celle de religion. Leur consentement, ou du moins les avantages qu’ils faisaient à leur neveu, étaient subordonnés à la conversion de la jeune protestante. Et, à la date où nous sommes, cette conversion n’était encore ni une chose faite, ni même une chose promise : c’était un des points sur lesquels Lamartine avait prudemment glissé. Certes, l’amie des demoiselles de la Pierre, élevée dans une famille catholique, était, comme on l’a vu par une de nos lettres, de sympathies et d’aspirations catholiques ; toutefois, elle ne voulait accomplir un acte, dont elle mesurait toute l’importance, qu’après mûre réflexion et avec entière bonne foi. M. Ch. Alexandre, qui fut le secrétaire de Lamartine, dans ses dernières années, et l’historien de sa femme, rapporte que celle-ci lui disait avoir tourné contre le protestantisme son arme : le libre examen. « J’ai lu de gros livres anglais, des apologistes, je n’ai pas agi à la légère. Les querelles des protestans m’ont décidée au catholicisme. J’ai examiné comme une pauvre jeune fille que j’étais. » Lamartine, comme toujours, s’est donné dans cette affaire le rôle prépondérant. » Je l’ai déterminée à se faire catholique… » écrit-il, le 10 décembre, à Mme de Raigecourt. Il semble plutôt, d’après ce qu’on va lire, que ce dut être de la part de la jeune fille une démarche spontanée. Si elle choisit, pour s’engager sur ce point, ce moment de crise, ce fut sans doute un raffinement de délicatesse à l’endroit de la famille de Lamartine ; elle prit plaisir à s’en rapprocher ainsi et à se créer avec elle un lien nouveau.


Milly, 6 décembre 1819.

Votre grande lettre que j’osais à peine espérer si tôt m’est arrivée hier, chère Marianne ; celle-là je l’ai gardée tout entière pour moi seul. Elle est trop douce, trop sensible et trop tendre, pour que je permette à personne au monde d’y porter un regard indifférent. J’ai seulement lu à ma mère son petit article et celui de la relligion : elle en a été toute attendrie et toute effrayée pour vous ; pour moi je ne crains rien que l’ennuy que toutes ces controverses vont vous causer ; je sais bien que rien ne changera ni votre cœur, ni votre esprit ; j’en juge à présent par le mien, et par ces lettres ravissantes où je puise toute mon espérance et toute ma consolation !…

Vous avez peur d’être gravée dans mon imagination en traits trop séduisans et trop flatteurs ; j’avais la même crainte, et j’ai bien plus de raisons