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Je suis fâché d’avoir employé une page et demie à ces vers, mais s’ils vous plaisent un instant je me le pardonne. Et moi aussi, je voudrais toujours vous lire, toujours vous entendre, et toujours vous voir ! Nous nous sommes trop peu connus ! Qu’il est heureux que nous puissions y suppléer par ces lettres où nous nous dévoilons l’un à l’autre ; hélas, j’apprendrai tous les jours à mieux apprécier le trésor que j’ai rencontré en vous ! et vous peut-être vous sentirez mieux tout ce qui manque en moi ! N’importe ; tel que je suis, je suis tout à vous : recréez cette âme languissante qui a besoin de s’appuyer sur ce qui est bon et beau, et qui se donne toute entière à vous pour se fortifier et s’ennoblir…

Vignet me parle d’un projet de voyage à Genève pour vous, qu’en est-il ? J’irais aussi, si nous pouvions espérer là plus de facilité à nous voir qu’à Chambéry. Ce bonheur de vous revoir m’est-il réservé ? Je le trouve à présent si grand que je ne puis y penser sans trouble. Je me figure continuellement ce bonheur, je m’y plonge tout entier, je ne vis plus qu’où vous êtes. Ah ! quand pourrai-je vous dire une faible partie de ce que je sens, et épancher dans un doux abandon quelques-uns de ces sentimens qui m’inondent ? Si ce bonheur ne vient jamais, jouissons au moins de l’ombra que nous en avons à présent et laissons échapper de nos cœurs la tendresse qui les remplit !… Je viens de refuser avant hier un mariage à Lyon qu’on a fait proposer à ma famille par Mme de Champagne, parente de Mme de Coste. J’ai été dans cette circonstance bien touché de la conduite de ma mère et de mon père, qui ne m’ont fait aucune instance personnelle et qui ont au contraire soutenu mon refus auprès de mes autres parens.

Adieu, chère Marianne… Que cet adieu est froid, et que ma pensée est plus tendre !


Comme on le voit, au milieu de ces négociations et de ces difficultés de tout ordre, Lamartine avait conservé assez de liberté d’esprit pour travailler. Ces deux mois de Milly ne furent certes pas une des périodes les moins fécondes pour son génie, puisque c’est pendant ce temps qu’il compose non seulement l’Automne et la Prière, mais l’une des plus fortes de ses Méditations, celle qui, lors de la publication du volume, fit le plus d’impression sur les lettrés : l’Homme, adressée à lord Byron. Il n’avait d’alarmes, et trop justifiées, que pour sa santé, lorsqu’une lettre de Mounier l’appela en toute hâte à Paris. Il s’y rendit avec d’autant plus d’empressement que, de toute évidence, l’unique moyen de salut était pour lui d’obtenir enfin un emploi ! Avant de partir, il confia à Mlle Birch son espoir :