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Mâcon, 15 décembre 1819[1].

Votre petite lettre m’arrive à l’instant, mais tranquillisez-vous, chère Marianne, il n’y a rien d’inquiétant dans ces souffrances dont j’ai eu tort de vous parler. C’est une espèce de langueur produite par le moral plutôt qu’une maladie ; soyez sûre que je ne vous trompe pas et que je m’attendais bien aux touchantes réponses que vous feriez à mes tristes suppositions.


Que votre lettre est tendre ! Que je vous aime et que nous nous aimons ! Je pars cette nuit pour Paris : une lettre imprévue d’un personnage assez considérable dans notre ministère actuel m’est arrivée avant-hier ; il m’engage très instamment à arriver le plus promptement possible, dans l’idée où il paraît être qu’il pourra m’être utile dans les projets de diplomatie qu’il m’a connus précédemment. C’est le même à qui j’ai refusé, il y a deux mois, d’être attaché à l’ambassade de Bavière en second, je présume donc qu’il a mieux à m’offrir et cela seul me détermine à ce départ. Je vois d’ailleurs par vos deux dernières lettres que vous croyez qu’un emploi satisferait madame votre mère et accélérerait la réussite de nos projets. Je n’hésite donc pas à aller courir cette chance, malgré ma répugnance personnelle à de nouvelles sollicitations. Je vous vois au bout de toutes mes démarches, cela les adoucira toutes. Ne nous flattons pas cependant : la manière dont je veux entrer de plain pied dans la dipplomatie est tout à fait inusitée et je ne me dissimule pas que, malgré les plus puissantes protections, il me sera vraisemblablement impossible de réussir. Mais comme on me rappelle après ce refus dont je vous ai parlé et sans que j’eusse rien fait dire depuis, j’espère néanmoins un peu. Je passerai donc l’hyver soit à Paris, soit, quand je le pourrai, chez un de mes meilleurs amis, le duc de Rohan, à la campagne près de Paris. Je prends néanmoins mon logement ordinaire et vous prie d’adresser en tout tems : M. Al. de L. Grand hôtel de Richelieu, rue Neuve-Saint-Augustin, à Paris : on me fera passer de là mes lettres quand je serai à la campagne…


Sur cette route qu’il refaisait après deux années, dans la même saison et presque à la même date, Lamartine retrouva-t-il quelques-unes des émotions qui faisaient battre si vite son cœur, lorsque, au mois de décembre 1817, il accourait à l’appel d’Elvire ? Sa hâte d’arriver n’était guère moindre. Peut-être un de ces pressentimens dont les poètes ont le privilège, l’avertissait qu’une crise de sa destinée l’y attendait. Peut-être, par-delà les ténèbres d’une épreuve presque mortelle, il apercevait l’aube de la gloire et du bonheur.


RENE DOUMIC.

  1. Pour Mademoiselle Birch, à elle seule.