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On a longuement épilogué, et l’on pourrait épiloguer longuement encore sur les termes de ce traité. Suédois et Norvégiens les ont regardés à la loupe, coupés au scalpel, comptés au compte-fils, passés au crible et pesés au scrupule, pour y découvrir les uns et les autres quelque chose qui serve leurs prétentions contradictoires. La vérité, pour quiconque a la bonne foi plus facile, étant plus désintéressé, est qu’il y a dans ces deux articles, comme en tout texte qui se respecte, du pour et du contre, et, comme on dit, à boire et à manger. Les Norvégiens soutiennent que la Norvège forme un royaume, qui doit jouir à l’avenir de toutes les libertés, de tous les droits et privilèges dont il est en possession au 14 janvier 1814 ; et le texte leur donne raison. Mais les Suédois soutiennent que ce royaume, qui d’ailleurs était soumis aux mêmes charges que « les autres parties de la monarchie danoise, » est cédé « irrévocablement et à jamais » au roi de Suède et à ses successeurs, pour leur appartenir dorénavant en propriété entière et souveraine, » avec « toutes les prérogatives, tous les droits ou émolumens ; » et le texte, à eux aussi, leur donne raison.

Tout de suite, les Norvégiens ont senti ce qu’il y avait pour eux de subordonné, d’assujetti, dans cette cession, ce qu’il y avait de mauvais et de menaçant pour eux dans cette rédaction. Et, comme le traité prescrivait que les territoires de la Norvège « formeraient un royaume uni à celui de Suède, » tout de suite ils voulurent, premièrement essayer d’éviter l’union, et deuxièmement, s’ils ne le pouvaient pas, éviter au moins que l’union reposât sur le texte de Kiel. La première séparation de la Norvège et de la Suède est donc en quelque sorte antérieure à leur union. Par la constitution d’Eidsvold du 17 mai 1814, par la proclamation comme roi de Christian-Frédéric, prince héritier de Danemark et Norvège, la Norvège tenait, avant de lui être unie, à se séparer de la Suède. Mais le roi de Suède Charles XIII, et derrière lui ou devant lui Charles-Jean Bernadotte, — qui ne voulait pas perdre le fruit de sa trahison et qui n’était pas homme à rejeter les trente deniers, — n’étaient pas disposés à lâcher leur prise. La Norvège se fortifiant, la Suède mobilisa. On se battit un peu, on intrigua

    (Martens, V, p. 682.) — Ces différens traités entre le Danemark, d’une part, la Suède, la Grande-Bretagne et la Russie, de l’autre, passés en janvier et février 1814, figurent dans Martens sous le no 78 et les sous-numéros 78 a, 78 b, 78 c, ce qui a parfois pu faire croire à un « système » de traités.