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Pardon ! à plusieurs reprises, l’âme sincèrement contrite. Puis il se releva pour embrasser sa femme ; mais un geste menaçant le tint derechef à distance :

— Elle sera morte, plus que morte pour toi ? Tu ne penseras plus jamais à elle ? Jamais ?… Du reste j’y veillerai ; jour et nuit j’aurai l’œil sur toi. Je te connais si bien. Je t’ai vu sourire, pleurer, te taire, j’ai su pourquoi, je l’ai toujours su. Tu me payeras tout cela, maudit, jusqu’au dernier copek…

Elle ne désarmait point et marchait sur lui, dents et griffes dehors, le forçant à reculer pas à pas jusqu’à la porte de la chambre de débarras contre laquelle il se trouva enfin adossé.

— Maintenant, va ! dit-elle en ouvrant brusquement cette porte. — Et elle le poussa dehors avant qu’il eût compris où elle le conduisait. — Va ! je serai ta femme quand je voudrai…, si je la suis jamais, m’entends-tu ?

La porte se referma, fut verrouillée.

On chantait, on buvait, le tapage avait repris de plus belle. Dans le reste de la maison et aux alentours, l’ivresse, la joie étaient au comble.

Nadia échevelée, ses colliers rompus, le corsage arraché, la jupe en lambeaux, pleura longtemps sur les ruines qu’elle avait faites. Et Féodor eut tout le temps de réfléchir dans le gîte étroit, sombre et mal odorant, qu’il partageait avec le chanvre filé, les peaux de moutons et les grosses bottes d’hiver.

L’avenir, en compagnie de la femme qui venait inopinément de se révéler à lui n’était pas sans l’effrayer ; mais comme il avait l’esprit assez juste et surtout un bon cœur, l’idée de tout ce qu’il avait inconsciemment fait souffrir à Nadia lui parut expliquer ses violences ; d’ailleurs l’excès d’une telle jalousie le flattait secrètement. Non, il ne méritait pas d’être aimé si fort ! Combien l’avait-il humiliée autrefois ! combien s’était-il montré égoïste !

En s’assoupissant vers la fin de la nuit sur les sacs de toile de ménage bourrés de fourrures qui jonchaient sa prison, il songea peut-être aussi qu’il y aurait quelque plaisir à mater tôt ou tard cette jolie mégère dont les ongles lui avaient labouré la face. Pourvu que les voisins ne s’en aperçussent pas !

Ils s’en aperçurent, et, d’ailleurs, tous les invités de la noce n’avaient pas été assourdis par l’ivresse. Le bruit courut donc dans le pays que Féodor Ilitch avait battu sa femme dès le premier jour, à moins qu’il n’eût été battu par elle. On dit ensuite