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qu’il n’était pas maître chez lui, qu’il s’était donné une tsarine qui le menait knout en main.

Quoi qu’il en fût, la mésintelligence ne régna pas aussi grande que le voulait la rumeur publique dans la maison neuve des Ilitch, car, avant la fin de l’année, un beau petit garçon y naquit que caressèrent à l’envi ses père et mère apparemment réconciliés. Ce fut lui qui exorcisa une bonne fois les derniers fantômes.

Sophie Paulowna fut sa marraine. Elle s’était fait conter par le pauvre Fédia cette nuit de noces que n’eussent pas désavouée, disait-elle, un couple de tigres, mais qui, grâce à son intervention, ajoutait la bonne dame, avait été suivie d’un prompt raccommodement. Par elle, j’ai su toute la fin de l’histoire, à. laquelle j’eus l’occasion de pouvoir ensuite joindre un postscriptum. Le hasard me fit rencontrer en effet trois ou quatre ans plus tard à Paris la souple et dangereuse bête de proie introduite imprudemment dans une bergerie de la steppe.

Très élégante, encore jolie, un peu trop engraissée peut-être, sa belle chevelure passée au henné, les paupières un peu trop ombrées de kohl, ne ressemblant plus du tout ainsi à la bruns et maigre petite Nadia, Gisèle m’aborda de la façon la plus naturelle en me demandant si j’avais des nouvelles récentes de Mlle Belsky. Avec son tact ordinaire, elle évita de prononcer aucun nom, sauf ceux de Roland et de Cocogna. La chatte altruiste était morte, elle en témoigna un sincère regret.

— Tout cela, dit-elle, était si amusant, si parfaitement original !

J’appris ensuite, entre deux légers soupirs, que sa vie h elle s’était arrangée pour le mieux, qu’elle était devenue très sédentaire, très raisonnable.

Son regard rêveur cependant errait au loin sur le boulevard comme si elle y eût cherché l’horizon infini de la steppe et elle murmura presque sérieuse : « C’était le bon temps à Boûzowa ! »

Th. Bentzon.