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Hausse-col avec l’aigle, épaulettes fanées,
Et, près des vieilles croix au ruban tout pâli,
Le sabre d’Austerlitz et le sabre d’Isly.

Le patriote alors respire une bouffée
D’orgueil français devant son intime trophée.
Rassuré par l’aspect de ce trésor, le seul
Qu’il possède, il se dit qu’au temps de son aïeul,
La France en armes fut presque surnaturelle.
L’évêque, attendri, son père mort pour elle.
Dans l’avenir — lointain, qu’importe ? — il reprend
Chère patrie ! Il se souvient qu’avant Rocroi,
Avant Denain, avant Zurich, sous la poussée
D’invasion, sa vie était bien menacée,
Mais qu’alors son génie immortel lui donna,
Pour la sauver, Condé, Villars et Masséna.
Puis le rêveur la suit dans sa longue légende.
Que de temps il fallut pour la faire si grande !
Mais il la voit, malgré guerres et factions,
Lentement devenir reine des nations
Et vaincre les malheurs dont son histoire est pleine,
Du bûcher de Rouen au roc de Sainte-Hélène.

« Non, la France n’est pas en décadence ! Non !
« Que le danger surgisse ! Un seul coup de canon
« Chassera les affreux nuages d’anarchie ! »

C’est terrible pourtant, la frontière franchie,
La guerre, tant de sang !… Ce brave hésite un peu
Et, comme il est chrétien, il songe à prier Dieu.
Mais les armes sont là, de l’aïeul et du père.
L’héritage d’honneur ordonne qu’il espère.
Le capitaine alors, d’un cœur religieux,
Implore avec ardeur le ciel et les aïeux,
Et, l’âme d’un courage inébranlable emplie,
Fait un signe de croix devant la panoplie.


FRANÇOIS COPPEE.