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un voyage à sparte.

Quelle charmante histoire, n’est-ce pas, mais quelle cacographie !

La dernière fois que je vis Louis Ménard, il se réjouissait d’une longue étude que Philippe Berthelot, le fils de l’illustre savant, projetait sur son œuvre. Je me serais bien mal expliqué dans les pages qui précèdent si l’on pouvait admettre chez le vieux philosophe déclinant la moindre vanité d’auteur : « Ne parlez pas de moi, parlez de mes idées, » disait-il à son jeune admirateur. Philippe Berthelot promit à Louis Ménard de « bien parler des dieux d’Homère. » Le pauvre et délicieux homme est mort sans cette satisfaction qu’il attendait impatiemment.

Depuis lors, Philippe Berthelot a publié des Pages choisies, précédées d’une étude digne de son objet. J’en veux citer une belle page :

« Louis Ménard est mort le 9 février 1901, dans cette petite rue du Jardinet qui traverse la cour de Rohan, blottie au creux d’un mur d’enceinte du vieux Paris ; c’est là qu’il s’est éteint au milieu des ouvriers et des gens du peuple, pour qui il avait rêvé la justice ; au ras de terre, car il ne pouvait plus marcher. À son chevet le vieux païen a cru voir la sombre figure des Érynnies et il a confessé ses fautes. Mais devons-nous oublier l’indifférence du siècle ? À son heure dernière, accablé par le sentiment de sa solitude, il a douté de son génie. Il est parti, délaissé par ceux à qui il avait tout donné ; mais pardonné de celle qu’il avait aimée et méconnue : c’est à peine si l’on a pu mettre dans sa main fermée une de ses belles médailles grecques, l’image divine d’Athéné, l’obole que réclamait Charon. »

Il y a dans ces lignes harmonieuses et voilées tout le drame intime de la vie de Ménard.


J’ai bien des fois cherché à comprendre ce véritable scandale qu’est l’échec de Louis Ménard. Comment l’un des esprits les plus originaux de ce temps, à la fois peintre et poète, érudit et savant, historien et critique d’art, admiré de Renan, de Michelet, de Gautier, de Sainte-Beuve, a-t-il pu vivre et mourir ainsi complètement inconnu du public ?

L’ardeur de sa pensée démocratique a-t-elle éloigné de lui les craintifs amis des lettres ? A-t-il distrait la gloire en s’essayant dans des genres si divers ? Peut-être, mais surtout il y a trop de gens qui lisent aujourd’hui. Leur masse, en se portant