Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 30.djvu/260

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
254
revue des deux mondes.

sur un livre médiocre, crée des succès injustifiés et rejette dans l’ombre des ouvrages de la plus haute valeur.

Je crois, en outre, que Ménard fut gêné de la manière la plus déplorable et la plus comique par un tas d’homonymes. Sa découverte du collodion est attribuée par les dictionnaires spéciaux à un Américain nommé Maynard qui, de bonne foi, la refit en effet, après lui, et, sans les rectifications proposées par M. Berthelot, l’erreur durerait encore. Plusieurs littérateurs, dont un qui eut cette aventure de publier comme inédites des pages de Bossuet qui figuraient déjà dans les Œuvres complètes, portent les noms de Menars, Mesnard, Maynard et même de Louis Ménard ; ils n’ont pas peu contribué à embrouiller les notions du public. Un jour que j’avais cherché dans un article de journal à tracer de notre maître une image exacte et noble, un lecteur m’écrivit : « Merci, monsieur, de nous avoir donné, à ma femme et à moi, des nouvelles du joyeux compagnon qui nous a tant fait rire dans un voyage à Dieppe l’an dernier. Nous avions bien soupçonné que ce charmant garçon écrivait, car personne ne tournait comme lui le calembour. » Mon correspondant s’égarait grossièrement. Le sentiment religieux demeura toujours le centre de Ménard, et même cette préoccupation suffit à expliquer son échec auprès du public. L’attitude d’un laïque et d’un libre penseur, qui, sans préoccupation polémique, étudie le divin, est peut-être bien ce qu’il y a de plus étranger à notre goût français.

Ménard posséda toutefois un disciple, M. Lami, esprit exalté, d’une rare distinction. Il ne le garda pas longtemps. Après avoir prié Brahma toute une nuit, M. Lami se jeta par la fenêtre en disant :

— Je m’élance dans l’éternité.

Un ami commun, M. Droz, ne voulut pas croire à cette mort extraordinaire.

— Je savais bien qu’il était fou, disait-il à Ménard, mais je croyais que c’était comme vous.

Ces hautes préoccupations du sentiment religieux plaisent beaucoup aux étrangers ; Ménard, s’il était traduit, aurait un immense succès dans les pays anglo-saxons. Avant la guerre, il y avait des curiosités de cette sorte en France. Elles nous valurent certaines Méditations de Lamartine, le Port-Royal de Sainte-Beuve, l’œuvre de Renan et la poésie de Leconte de Lisle. Je suis arrivé à Paris assez à temps pour en recueillir l’écho. Mais, de